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Nantes qu’il répondit par l’édit de Potsdam[1], ouvrant aux émigrans français une seconde patrie dans toute l’étendue du terme. Les représentans à l’étranger du grand-électeur reçurent ordre d’aplanir pour eux toutes les difficultés du voyage. Les biens qu’ils apportaient furent affranchis de tous droits et péages. Aux agriculteurs, on abandonna les maisons et les terres dont les possesseurs avaient disparu, et ces propriétés furent exemptées d’impôt pendant six ans. Aux industriels, on accorda d’emblée le droit de bourgeoisie dans les villes, l’entrée dans les corporations de métiers. Aux gentilshommes, on assura les droits et les prérogatives de la noblesse du pays. Des commissaires spéciaux furent créés pour veiller à l’exécution de ces mesures. Des institutions de crédit furent fondées pour subvenir aux premiers besoins, pour préparer l’avenir. Les réfugiés eurent, comme ils l’avaient eu en France, leurs cours de justice, leurs consistoires, leurs synodes. Enfin toutes les affaires qui les concernaient se traitèrent en français[2].

Il n’est pas surprenant qu’attirés par d’aussi grands avantages les protestans français se soient portés en masse dans le Brandebourg. Leur consciencieux historien, Charles Weiss, en estime le nombre à 25,000 hommes, non compris ceux qui n’avaient pas attendu le dernier moment. Comparé à la population indigène, ce chiffre est considérable. À la mort du grand-électeur, la Prusse entière ne comptait que 1 million et demi d’habitans. On voit que les réfugiés français durent apporter un fort appoint à celle des provinces qui les reçut presque tous au lendemain des guerres qui l’avaient dépeuplée. Aussi l’histoire les montre-t-elle rebâtissant presque seuls des villes détruites par Tilly et ses émules, créant dans la capitale même de nouveaux et les plus beaux quartiers, fondant de véritables colonies et repeuplant des cantons.

Toutefois, pour apprécier à sa juste valeur le rôle joué dans le Brandebourg par les réfugiés français, il ne faut pas seulement les compter ; il faut surtout avoir présens à l’esprit les services qu’ils rendirent à leur nouvelle patrie et la position qu’ils surent y acquérir par cela même. Nous ne pouvons entrer ici dans des détails, et nous renvoyons à l’ouvrage de Charles Weiss, aux écrivains alle-

  1. La révocation de l’édit de Nantes fut signée le 22 octobre 1685 ; l’édit de Potsdam est daté du 29 du même mois.
  2. L’exemple du grand-électeur fut suivi par presque tous les princes qui se rattachaient à la famille de Brandebourg. On doit citer parmi eux Charles Ier, landgrave de Hesse-Cassel. Sans même attendre l’édit de révocation, il offrit un asile aux protestans persécutés. La seule ville de Cassel, qui ne comptait alors que 18,000 habitans, en reçut 3,000, et le landgraviat 5,000 ou 6,000, dont environ 150 chefs de famille appartenant à la noblesse. (Ch. Weiss, Histoire des réfugiés protestans de France depuis la révocation de l’édit de Nantes.)