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tivaient leur émigration aidèrent encore à ce mouvement. Le chevalier teutonique, tout aussi désireux de conquérir que de convertir les paysans, les rudes colons qu’il appelait à son aide eurent à combattre les hommes et la nature ; les émigrés de l’édit de Nantes eurent à surmonter les difficultés de leur position. Ces luttes avaient lieu sur une terre ingrate et sous un ciel rigoureux. À cette école, l’intelligence grandit, les volontés s’affermirent, les courages se trempèrent comme les corps ; mais aussi les cœurs s’endurcirent, l’ambition se développa et la religion elle-même prit trop souvent un caractère sauvage. Ce ne fut plus le Dieu du Christ, le père commun, que l’on invoqua, ce fut Jéhovah le vengeur.

Ainsi a pris naissance et s’est constituée la race prussienne, parfaitement distincte des races germaniques par ses origines ethniques et par ses caractères acquis[1]. Les élémens qui la composent ne sont pas d’ailleurs encore entièrement fusionnés. En dépit d’un vernis de civilisation emprunté surtout à la France, cette race en est encore à son moyen âge. Cela même explique quelques-unes de ses haines et de ses violences. En m’exprimant ainsi, je n’entends méconnaître ou nier aucune de ses fortes et sérieuses qualités. On ne gagne rien à déprécier injustement un ennemi. Vainqueur, on diminue la gloire du triomphe ; vaincu, on accroît la honte de la défaite ; mais il est bien permis à un Français de n’être que juste envers une race qui déguise si peu ses sentimens à notre égard. Calomniés chaque jour par des feuilles à gages et jusque dans des documens officiels, nous avons bien le droit de protester et de montrer que nous ne sommes pas ce que disent nos ennemis, qu’ils sont loin d’être ce qu’ils prétendent. L’histoire du siège de Paris suffit à cette double tâche. On la fera un jour avec détail, et le moment viendra où nos adversaires eux-mêmes rendront justice à une population de deux millions d’âmes qui, du premier jusqu’au dernier jour, s’est montrée également prête à souffrir et à se battre. Je laisse à d’autres le soin de tracer ce tableau avec les développemens qu’il exige. Professeur au Muséum, je me borne à esquisser à titre d’épisode ce qui s’est passé dans cet établissement pendant le bombardement.

Le Muséum de Paris avec les jardins et bâtimens qui en dépendent forme un quadrilatère irrégulier entièrement isolé entre un quai et trois rues. La surface en est de 225,430 mètres carrés. Au sud, une ligne de maisons complète la rue de Buffon, et cache de vastes espaces occupés par les laboratoires d’anatomie comparée et de physique végétale, par nos pépinières, par des jardins et par

  1. M. Godron, bien que ne tenant compte que du mélange des Slaves et des Germains, a dit avec raison : « Les Prussiens ne sont ni des Allemands ni des Slaves ; les Prussiens sont des Prussiens. »