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encore cultivés que chez nous, et qui se seraient répandus de là dans l’Europe entière. Les collections rapportées du Mexique ont été broyées, et la science a perdu quelques espèces, quelques genres nouveaux, dont l’étude était commencée. Parmi nos animaux vivans, une perruche seulement a été tuée. Dans les magasins de la conchiliologie, quelques types rares ont été détruits, et un certain nombre de tiroirs absolument bouleversés. Dans les galeries de zoologie, un crocodile empaillé a perdu sa tête ; quelques lézards, également empaillés, ont été éventrés. Aucun des employés n’été blessé. Voilà le bilan du bombardement du Muséum.

Le Muséum a été bombardé du 8 au 25 janvier[1]. Il a reçu quatre-vingt-cinq obus[2]. L’hospice de la Pitié n’a pas été plus épargné. Quarante-sept projectiles sont tombés dans les cours ou sur les bâtimens[3]. Or la surface occupée par ces deux établissemens réunis est de 247,207 mètres carrés. À lui seul, ce chiffre réfuterait au besoin l’étrange excuse invoquée par les autorités et la presse prussiennes pour expliquer comment des hôpitaux, des monumens, ont été si souvent frappés. Il est évident que des projectiles dirigés par ces artilleurs dont nous avons éprouvé tant de fois la redoutable adresse ne s’égarent pas en si grand nombre, d’une manière constante et pendant dix-sept jours sur une surface de 24 hectares. Dira-t-on qu’ils étaient destinés à l’entrepôt des vins, et que, faute d’une force d’impulsion suffisante, ils tombaient quelque peu en-deçà ? Je répondrais qu’il n’en est rien. L’entrepôt, à raison de son étendue, pouvait être aussi facilement atteint que le Muséum, et les Prussiens lui ont parfaitement fait sa part distincte. Lorsque, dans la nuit du 17, le feu prit au magasin des eaux-de-vie, l’ennemi, averti par la lueur, sut fort bien envoyer coup sur coup exactement dans cette direction une douzaine d’obus, qui non-seulement ne restèrent pas en route, mais heureusement dépassèrent le but. Une fois le feu éteint, la trajectoire se raccourcit, les projectiles tombèrent de nouveau sur le Muséum, et l’un d’eux éclata sur le labyrinthe, à quelques mètres du toit de nos serres, déjà si éprouvées. Les professeurs réunis en conseil au moment du sinistre, ceux qui passèrent cette nuit aux serres, ont pu constater par eux-mêmes toutes ces circonstances.

La déclaration faite à l’Académie des Sciences par notre directeur est donc incontestablement fondée[4]. Le Muséum a été bombardé.

  1. Le dernier obus est tombé sur la terrasse du grand labyrinthe.
  2. Ces obus ne se sont pas égarés indifféremment dans tout le jardin. Ils sont à peu près tous groupés dans le voisinage des galeries et autres constructions.
  3. Je ne compte ici que les projectiles tombés dans le périmètre même des établissemens. La rue qui les sépare et celles qui les circonscrivent en ont reçu plusieurs.
  4. Voici les termes de cette déclaration, qui sera tôt ou tard gravée sur la porte d’entrée du Muséum. — « Le Jardin des plantes médicinales, fondé à Paris par édit du roi Louis XIII à la date du mois de janvier 1626, devenu muséum d’histoire naturelle par décret de la convention du 10 juin 1703, fut bombardé sous le règne de Guillaume Ier, roi de Prusse, le comte de Bismarck étant chancelier, par l’armée prussienne, dans la nuit du 8 au 9 de janvier 1871. Jusque-là, il avait été respecté de tous les partis et de tous les pouvoirs nationaux et étrangers. »