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après l’entrevue de Napoléon et de M. d’Haugwitz à Schœnbrunn, est le pendant au projet de cession du Luxembourg à la France par M. de Bismarck, et la division de l’Allemagne en confédération du Rhin et confédération du nord n’est que le projet de Napoléon retourné contre nous par la Prusse. Un dernier trait achève la ressemblance. Il y avait à Berlin un parti de la cour et de l’armée, composé des vieux compagnons d’armes du grand Frédéric et de la jeune noblesse honteux de l’inaction militaire de la Prusse, plus honteux de sa politique tortueuse, pleins d’une confiance ridicule dans la supériorité des armes de la Prusse et d’un noble repentir de ses fautes diplomatiques. La reine Louise était l’âme de ce parti. Depuis Austerlitz, elle sentait blessé jusque dans ses entrailles l’honneur allemand, comme nous avons senti saigner après Sadowa l’honneur français. Le prince Louis et les vieux maréchaux Mollendorf et Kalkreuth, ainsi que le duc de Brunswick, dont la gloire faisait trop oublier l’âge, agitaient l’armée de leur ardeur belliqueuse. La cause de la guerre avait d’ailleurs pour elle des hommes d’état comme Hardenberg et des pamphlétaires comme Gentz, l’opinion publique s’exaltait, la passion de Berlin touchait au délire, les jeunes officiers allaient aiguiser leur sabre à la porte de l’ambassadeur de France. M. d’Haugwitz finit par se rallier à son tour au parti de la guerre, et le roi, faible, affligé, résistant en vain, commit la faute politique de provoquer la France, comme nous avons en 1870 provoqué la Prusse. C’était surtout une faute militaire, car il ne restait à la Prusse de l’armée du grand Frédéric que la gloire et la vanité, moins les hommes, moins la stratégie, en face d’un ennemi qui n’avait jamais été plus grand. L’année 1805 avait vu Napoléon à Milan au mois de mai, à Boulogne en août, à Vienne en novembre, à Austerlitz en décembre. Le prestige des armes et de la gloire du dominateur de l’Europe était extraordinaire. Au reste, une partie de l’armée, parfaitement organisée, bien pourvue et commandée, était encore en Allemagne et elle n’eut qu’à remonter par les passages de la Saale et de l’Elbe, pour déboucher par Salfield sous le maréchal Lannes, culbuter le prince Louis de Prusse, et se poster à quelques journées de Berlin. La victoire d’Iéna détruisit le 14 octobre la monarchie militaire de la Prusse. Napoléon entrait le 25 à Berlin avec l’armée française ; il y signait le 21 novembre les huit fameux articles du blocus continental, et la fin de 1806 fut employée à prendre les forteresses et à marcher en Pologne contre l’armée russe, déjà battue à Zurich, vaincue à Austerlitz, vaincue encore à Eylau et à Friedland. Par la paix de Tilsitt (7 juin 1807), la Prusse fut réduite de moitié.

La France retrouve, hélas ! dans ces souvenirs glorieux, l’image