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reçu avec autant d’égards à Londres que les ambassadeurs des nations civilisées, concession étrange en faveur d’un potentat qui, dans ses audiences officielles, traitait le représentant de l’Angleterre sur le même pied que celui des Thibétains, ses vassaux. Les possessions anglaises de l’Amérique du Nord venaient de s’unir dans le Dominion of Canada avec de chaleureuses protestations d’attachement à la couronne britannique. Les colonies de l’Océan austral n’étaient ni moins loyales ni moins tranquilles que le Canada. Un dissentiment, il est vrai, s’était élevé entre la Nouvelle-Zélande et la mère-patrie à propos d’une garnison de troupes métropolitaines que les colons voulaient conserver sans en payer la dépense ; mais ce dissentiment avait été en définitive une occasion de bien poser en principe qu’une colonie n’est digne de se régir elle-même qu’à la condition de se suffire. Le devoir imposé aux établissemens lointains de s’armer et de se défendre par leurs propres ressources rendait possible une nouvelle réduction de l’armée, nouvelle source d’économies que le chancelier de l’échiquier se gardait de négliger. Dans ce ciel sans nuages de l’horizon britannique, l’œil le plus attentif ne pouvait discerner qu’un léger brouillard, d’où il n’était guère probable que la tempête pût sortir. Les États-Unis s’obstinaient à réclamer la réparation qu’ils se croyaient due pour de prétendues faveurs illicites que la Grande-Bretagne aurait accordées aux confédérés pendant la guerre de sécession. Les élémens de cette affaire assez complexe ont été exposés dans la Revue (1er et 15 septembre 1870). Le gouvernement de Washington paraissait peu pressé de terminer cette contestation, et les Anglais avaient quelque espoir que le temps éteindrait des griefs qu’ils refusaient d’admettre comme légitimes.

Eh bien ! n’est-ce pas un peuple heureux que celui qui peut parcourir l’Europe et faire le tour du globe sans rencontrer des visages ouvertement hostiles ? N’y a-t-il pas aussi du bonheur à se dire qu’aucune question politique intérieure n’est assez menaçante pour exiger une solution hâtive d’où la sagesse et la maturité seraient exclues ? L’union des partis était telle que les vieilles dénominations de whigs et de tories tombaient elles-mêmes en désuétude. Les tories, représentans du parti conservateur, avaient proposé et fait voter l’extension de la franchise électorale. Un ministère whig, sans rencontrer d’opposition violente, avait démoli l’édifice caduc de l’église établie en Irlande. Encore une fois, la paix dans les relations internationales, le calme à l’intérieur, l’aptitude à résoudre chacune à son heure les questions dont les progrès du siècle imposent l’examen, cela ne constitue-t-il pas le régime d’un peuple heureux ? Oui, sans doute, ce serait assez, si c’était durable. Par malheur, ce régime reposait sur des bases instables. Nous laisserons à d’autres