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la chute inévitable de Paris serait un malheur sans doute, mais que ce malheur ne serait qu’un accident, et que la France resterait en armes pour continuer la lutte. Le gouvernement de Paris disparaissait, il est vrai, dans ce grand naufrage d’une reddition à merci ; mais il y en avait un autre à Bordeaux, et, comme M. Gambetta était l’âme de ce gouvernement de Bordeaux, c’était lui qui désormais devenait le dictateur de la France, disputant sa vie et son sol à l’invasion jusqu’à la complète délivrance de sa capitale et de ses provinces.

Le rêve était ambitieux assurément, aussi ambitieux que dangereux, et s’il ne s’est pas produit au grand jour, s’il a même été désavoué par M. Gambetta dans un discours prononcé à Lille, il n’est pas moins implicitement dans les derniers actes de Bordeaux, qui ne signifient rien, ou qui prouvent qu’on aurait préféré une reddition de Paris sans condition à une capitulation diplomatique qui appelle la France à se prononcer elle-même sur la paix ou sur la continuation de la guerre. Ce qu’on aurait voulu en un mot, c’eût été que la chute de Paris ne décidât rien, ne tranchât rien, et que le gouvernement de Paris, en disparaissant ou en restant prisonnier de guerre, laissât au gouvernement de Bordeaux sa pleine et entière liberté. — Eh ! sans doute, par elle-même, cette idée n’a rien que puisse désavouer le patriotisme ; il eût été à désirer en effet que la douloureuse catastrophe de Paris n’eût point une influence décisive sur la situation générale, qu’il restât toujours quelque part un gouvernement faisant face à l’ennemi, continuant la défense nationale, bien entendu avec le libre concours du pays, et il a dépendu peut-être de M. Gambetta de faire de ce rêve patriotique une réalité. S’il n’en est point ainsi aujourd’hui, si la défense du pays tout entier a été compromise, qui donc est le coupable ? Ce n’est point apparemment le gouvernement de Paris. Lors même que ce gouvernement n’eût traité que pour la grande ville où il est enfermé depuis cinq mois, est-ce que nos provinces, nos armées de l’est, de l’ouest et du nord, seraient dans une meilleure situation ? est-ce que le gouvernement de Bordeaux aurait plus d’autorité et de prestige aux yeux de la France ? La crise où se débat notre malheureux pays ne resterait pas moins redoutable, elle ne serait pas moins arrivée à une de ces périodes aiguës où de toute façon il faut une solution, et ici en vérité commence pour la délégation envoyée en province, pour M. Gambetta en particulier, une terrible responsabilité.

Il y a près de cinq mois que cette délégation est allée à Tours, il y a quatre mois que M. Gambetta partait de son côté ; qu’a fait ce gouvernement ? Ce serait certes une souveraine injustice de méconnaître même aujourd’hui l’énergie et l’activité de ce jeune ministre de l’intérieur et de la guerre, qui a eu tout au moins le mérite de mettre un peu de sève dans cette délégation composée de vieillards, qui a communiqué son feu à tout ce qui l’entourait. Il a donné à l’organisation de la défense et à tous les mouvemens militaires une impulsion qui l’a un instant