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Chanzy derrière la Mayenne, et nos armées des provinces ne se sont jamais plus rapprochées de Paris que lorsqu’elles étaient dirigées par le général d’Aurelle de Paladines, destitué pour n’avoir point réussi dans une opération qu’on lui avait imposée. C’est peut-être moins la faute de M. Gambetta que celle de ses flatteurs, qui lui ont persuadé qu’il allait être un second Carnot, un autre organisateur de la victoire, que nos généraux n’entendaient plus rien à la guerre. Il s’est laissé convaincre, il a voulu faire la guerre à son tour ; il n’a pas été plus heureux que d’autres, et, au lieu d’organiser la victoire, il a organisé la défaite. M. Gambetta avait la généreuse passion de réussir et de vaincre l’invasion, nous n’en doutons pas ; par malheur, il ne s’est pas seulement trompé lui-même : il nous a trompés, nous aussi, en nous flattant de bonnes nouvelles. Il nous a fait croire que les défaites étaient des victoires, il a pris ses désirs et les entraînemens de son imagination pour des réalités, si bien que nous n’avons plus rien su, que nous n’avons plus rien vu qu’à travers un tissu de fictions. Ici, nous ayons cru à des succès de nos armées, hélas ! plus rares qu’on ne le disait ; nous avons compté sur ce secours qu’on nous annonçait périodiquement. En province, comment la chute de Paris n’aurait-elle pas produit l’effet d’un coup de foudre, lorsque rien n’avait préparé les esprits à cette catastrophe, lorsque la veille encore la délégation de Bordeaux faisait le tableau le plus prodigieux de la sortie du 19 janvier et du combat de Montretout ? Ce jour-là, à ce qu’il paraît, nous étions allés jusqu’aux portes de Versailles, et nous avions mis vingt-cinq mille Prussiens hors de combat ! Voilà comment on écrivait notre histoire. Avec ce système, la déception était inévitable ; elle a été cruelle le jour où on a vu la vérité, et M. Gambetta à tristement fini sa campagne de stratégiste improvisé. Il aurait mieux valu pour lui et pour nous qu’il se bornât à organiser, à équiper nos armées, en faisant un peu moins de généraux, en laissant ceux qui étaient au combat combiner leurs opérations.

Ce que M. Gambetta a fait pour la guerre, il l’a malheureusement fait aussi dans la politique ; il a désorganisé. Ce n’est point certes qu’il ait rencontré des résistances ; tout le monde lui a obéi, excepté peut-être ses amis. Le pays a montré une docilité merveilleuse. N’importe, il a fallu dissoudre les conseils-généraux, les conseils d’arrondissement, les conseils municipaux, si bien que la France a fini par se trouver sans aucune espèce de représentation légale ; elle a vécu dans une atmosphère confuse d’autorité discrétionnaire tempérée par l’anarchie de quelques villes et par la force, d’inertie des campagnes. C’était bien la peine vraiment de s’élever si haut contre l’empire, de se mettre à sa place, pour lui emprunter les tristes procédés de sa politique ! On a eu comme lui des préfets autoritaires, des commissions administratives, des candidats officiels, même des bulletins adressés aux communes pour faire l’éducation du peuple, — et toujours comme sous l’empire on s’est em-