Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvenirs qui les tromperont toujours sur les vraies conditions de l’art. Incapables de produire pour leur propre compte, ils seront par surcroît impuissans à juger sainement les productions d’autrui, et n’arriveront en définitive qu’à grossir le nombre de ces ignorans prétentieux dont les admirations, aussi déplacées que les critiques, empêchent le plus souvent la justice de se faire, et les opinions sensées de prévaloir.

En regard de l’influence exercée sur des gens pour lesquels l’étude du dessin n’aura été qu’une occupation accidentelle, que l’essai, suivant l’expression consacrée, d’un « art d’agrément, » si l’on examine les résultats d’une mauvaise éducation reçue dans les écoles professionnelles, le dommage apparaîtra naturellement plus grave et plus significatif encore. Ici en effet le mal ne s’arrête pas à des erreurs d’opinion et de théorie ; c’est dans la pratique même qu’il se manifeste, c’est par leurs œuvres que le propagent les hommes qui, élevés autrefois auprès de maîtres négligens ou insuffisamment instruits, sont devenus des artistes à leur tour. On sent trop souvent dans ces travaux de l’art industriel que le dessin, qui devait en être la condition fondamentale et l’inspiration raisonnée, ne sert guère qu’à en enjoliver les surfaces, que l’ambition comme la science chez ceux qui les ont exécutés ne dépassent pas la sphère du caprice ou des procédés de fabrication rapides, et que, faute d’avoir appris de bonne heure à se munir du nécessaire, l’esprit d’invention, rusant avec lui-même, se résout en dextérité superflue. De là ce déclin progressif, cet abaissement trop peu équivoque des succès et de l’influence qui nous avaient si longtemps et si légitimement appartenu ; de là déjà plus d’une atteinte à l’autorité jadis universelle de l’art français, et bientôt peut-être, si nous n’y prenons garde, la supériorité des produits étrangers sur les nôtres.

C’est pour conjurer en partie ce danger que, depuis quelques années, l’administration municipale de Paris a entrepris de réorganiser l’enseignement du dessin dans les écoles placées sous son patronage, et il n’y a que justice à tenir compte des efforts accomplis par elle afin d’améliorer la situation. À partir de 1865, des sessions annuelles d’examens furent ouvertes ; ceux qui aspiraient à devenir professeurs durent, pour obtenir ce titre, subir des épreuves et mériter un diplôme qu’on avait eu le tort de ne pas exiger de leurs devanciers. On divisa l’enseignement du dessin en enseignement d’art et en enseignement géométrique, on établit des concours à époque fixe entre toutes les classes de dessin, on confia la surveillance des études à deux inspecteurs ; en un mot, grâce à une commission instituée par le préfet pour étudier la question, grâce surtout à l’intervention de l’artiste éminent qui dirigeait alors les travaux d’ar-