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heureux, des ennemis acharnés leur imputaient de nouveaux crimes pour les perdre. Les calomnieuses machinations qui amenèrent tant d’affreux supplices se montrent ici dans tout leur jour. Dès les premiers pamphlets de Du Bois, vers 1300, on voit poindre le projet de détruire l’ordre du Temple. Or à ce moment il n’est nullement question des hérésies qu’on imputa plus tard à l’ordre tout entier ; ces hérésies ne furent inventées que quand on vit que le seul moyen de confisquer les biens de l’ordre était de l’accuser de crimes contre la foi. Ce fut aussi en invoquant des griefs ecclésiastiques que Philippe dépouilla les marchands italiens en 1291, les juifs en 1306. Des accusations semblables furent portées contre Boniface VIII ; en général les accusations contre Boniface et celles contre les templiers paraissent coulées dans le même moule. L’historien qui traitera un jour d’une façon critique la question de la destruction de l’ordre du Temple devra chercher dans les ouvrages de Pierre Du Bois l’explication de cette ténébreuse affaire ; il y trouvera la preuve que la destruction de cet ordre fut le résultat d’un plan arrêté au moins dès l’an 1300, et non la conséquence de prétendues énormités qu’on ne trouve alléguées que vers 1307.

X. — Mémoire à Philippe le Bel pour l’engager à se faire créer empereur d’Allemagne par Clément V. Cette pièce curieuse est en latin ; elle a été découverte par M. Boutaric dans le manuscrit dont il a tiré les écrits n° 7 et 9 (Notices et extraits, t. XX, 2e partie, p. 186 et suiv.). Une chose certaine, c’est qu’elle est du même auteur qu’une autre pièce[1] que M. de Wailly a prouvé être de Du Bois. Dans les deux pièces, l’auteur parle d’un mémoire de sa composition à l’adresse du pape, qu’il remit au roi à Chinon. Le mémoire dont il s’agit en ce moment porte d’ailleurs tous les caractères qui ont servi à reconnaître les écrits de Du Bois. Des parties entières sont reproduites du De recuperatione.

Selon l’habitude constante qu’a Du Bois de dissimuler les projets conçus dans l’intérêt de la couronne de France sous une fausse apparence d’intérêt pour la foi et pour la croisade, cette pièce est intitulée Pro facto terrœ sanctœ. L’auteur allègue l’exemple de saint Louis, qui, dit-il, eût volontiers accepté l’empire. C’est le pape Adrien qui a constitué le droit des électeurs[2] ; un autre pape peut suspendre ce droit dans l’intérêt de la croisade. Du Bois suppose les électeurs rassemblés par le pape, et prête au pontife un discours de son invention, où les princes allemands sont traités avec beaucoup de sévérité. « Nous pourrions vous priver du droit d’élire, car vous avez fait de mauvais choix. L’empire a été transféré des Grecs aux

  1. N° 11, ci-dessous.
  2. Il s’agit d’Adrien Ier. La raison de l’assertion de Du Bois ne se laisse pas entrevoir.