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maison de Habsbourg, dont un membre destiné à être le chef de la famille venait d’épouser une sœur du roi de France, à rendre la couronne impériale héréditaire. En 1308, après la mort d’Albert d’Autriche, Du Bois crut le moment favorable à un projet encore plus hardi qui eût assis Philippe le Bel sur le trône d’Allemagne.

On voit sans peine la frivolité de quelques-uns de ces projets et la contradiction où ils étaient avec les principes de Du Bois lui-même. L’auteur était un peu plus dans le vrai en concevant une confédération, en quelque sorte une république de l’Europe chrétienne, résultat d’une pacification générale de l’Occident, qui permettrait à l’Europe latine de dominer l’Orient, soit grec, soit musulman ; mais les moyens qu’il proposait étaient chimériques : une sorte de tribunal eût tranché par sentence arbitrale tous les différends entre les princes chrétiens, et ceux qui auraient résisté eussent été excommuniés. Du Bois semble avoir passé sa vie à rêver alternativement l’agrandissement démesuré du pouvoir papal et la sujétion du pape à la royauté. Les projets de politique extérieure chez Du Bois sont loin de présenter la haute raison qui caractérise ses plans de réforme intérieure, surtout ceux qui touchent à l’ordre judiciaire et administratif.

Le style de Du Bois a du trait, de la vivacité, parfois de la justesse, toujours une spirituelle bonhomie. On n’y sent nulle rhétorique, ni affectation ; mais il est extrêmement incorrect, lâche et obscur. Il faut dire à sa décharge que les manuscrits qu’on a de ses grands traités sont très mauvais. Un défaut toutefois dont les copistes ne sauraient être responsables, c’est le désordre complet de la rédaction, les perpétuelles redites. — L’auteur est au courant de toutes les études de son temps : il en voit les côtés faibles ; il comprend la science et l’esprit scientifique. Quoiqu’il ait dans l’astrologie et dans certains récits fabuleux une confiance bien naïve, ses sympathies sont pour les meilleurs esprits de son siècle, tels que Siger et Roger Bacon. Comme Bacon, c’est un novateur, un homme à idées. Ses écrits, comme ceux de Bacon, n’ont pas le pédantisme des divisions scolastiques : ils s’adressent à des gens qui n’ont pas fait leur logique sur les bancs de l’école. La manière dont il parle au souverain respire une noble franchise. Son culte pour la royauté n’est pas de l’adulation pour le roi ; souvent il fait la critique directe des actes du gouvernement, par exemple des altérations de la monnaie, des illégalités dans l’appel au service militaire. Les libertés qu’il se donne font honneur au gouvernement qui les permit. A la façon dont il traite de péché mortel toute imposition de taxe nouvelle, toute exigence arbitraire dans la convocation du ban et de l’arrière-ban, on sent que l’esprit du moyen âge vit encore. Du Bois n’arriva pas aux fonctions élevées, et par là il put échapper