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vilisation, c’est la naissance d’un césarisme nouveau, et non pas, comme on voudrait le faire croire, la simple renaissance de l’ancien empire allemand. La dignité impériale d’Allemagne n’était à l’origine spécialement attachée à aucun peuple, ni même fixée dans aucune famille. Elle passait de la maison de Saxe à la maison de Souabe, puis à une autre. Lorsque, par une sorte d’usurpation qui obtint l’acquiescement général, elle devint héréditaire dans la maison d’Autriche, l’indépendance conquise par les différens princes allemands dans des luttes antérieures, le relâchement du lien féodal amené par des causes diverses, les difficultés créées à la maison d’Autriche par les souverains étrangers, surtout et presque exclusivement par le roi de France, empêchèrent cette maison d’abuser de sa puissance pour opprimer l’Allemagne, et la dignité impériale finit par devenir un vain titre ; elle n’existait en réalité déjà plus quand elle fut officiellement supprimée en 1806.

Le césarisme prussien proclamé le 18 janvier se présente dans de tout autres conditions. Préparé par la guerre faite en commun avec l’Autriche contre le Danemark, fondé en fait dans la guerre civile de 1866, éclos et venu à maturité dans la guerre de France, qui lui assure la consécration de la gloire militaire la plus complète, il repose non pas seulement sur les Hohenzollern, mais sur le peuple prussien, comme le césarisme d’Auguste reposait sur le peuple romain, comme le césarisme de Charlemagne reposait sur le peuple frank. Seulement, au temps d’Auguste, le vrai peuple romain, celui qui pendant sept cents ans de lutte et d’efforts avait fondé un immense empire, n’existait pour ainsi dire plus ; moissonné sur tant de champs de bataille, réparti dans de nombreuses colonies, il n’était plus guère représenté dons Rome que par une multitude servile de sentimens comme d’origine ; mais, grâce à la forte organisation de l’empire, au despotisme militaire dont les circonstances avaient nécessité l’établissement, ces représentans indignes de l’ancien peuple romain purent encore régir le monde pendant cinq cents ans sous la conduite de leurs césars. Les Franks de Charlemagne, eux aussi, étaient épuisés par une longue suite de guerres, disséminés sur de vastes territoires qu’il leur fallait garder ; leur croissance ayant été bien plus prompte que celle du peuple romain, leur décadence fut aussi bien plus rapide, et ils ne purent maintenir au-delà de la première génération la domination que Charlemagne avait fondée. Les Prussiens de l’empereur-roi Guillaume sont-ils menacés de l’affaiblissement qui caractérise les Romains de la décadence et les Franks de Louis le Débonnaire ? Non sans doute. Les dissolvans intérieurs qui ont amené la décomposition du peuple romain et du peuple frank n’existent pas pour eux ; mais il y a au dehors,