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éventualités de la guerre : comme il est calme ! Au milieu de ses préjugés, de ses entêtemens, de son ignorance, il a un côté vraiment grand. Il représente l’espèce avec sa persistante confiance dans la loi du renouvellement.

Boussac (Creuse), 20 septembre.

On dit que récapituler ses maux porte malheur. Cela est vrai pour nous aujourd’hui. La variole s’est déclarée foudroyante, épidémique autour de nous ; nous avons renvoyé les enfans et leur mère, et aujourd’hui force nous est de les rejoindre, car le fléau est installé pour longtemps peut-être, et nous ne pouvons vivre ainsi séparés. Nous voilà fuyant quelque chose de plus aveugle et de plus méchant encore que la guerre, après avoir tenté vainement d’y apporter remède ; hélas ! il n’y en a pas, le paysan chasse le médecin ou le voit arriver avec effroi. Partons donc ! Une balle n’est rien, elle ne tue que celui qu’elle frappe, mais ce mal subit qu’il faut absolument communiquer à l’être dévoué qui vous soigne, à votre enfant, à votre mère, à votre meilleur ami !… Il faut donc alors mourir en se haïssant soi-même, en se maudissant, en se reprochant comme un crime d’avoir vécu une heure de trop !

La chaleur est écrasante, la sécheresse va recommencer ; elle n’a pas cessé ici, dans ce pays granitique, littéralement cuit. Nous couchons dans une petite auberge très propre ; abondance de plats fortement épicés, pas d’eau potable. Le pays est admirable quand même. La couleur est morte sur les arbres, mais les belles formes et les beaux tons des masses rocheuses bravent le manque de parure végétale. Les bestiaux épars, cherchant quelques brins d’herbe sous la fougère, ont un grand air de tristesse et d’ennui ; leurs robes sont ternes, tandis que les flancs dénudés des collines brillent au soleil couchant comme du métal en fusion. Le soleil baisse encore, tout s’illumine, et les vastes brûlis de bruyère forment à l’horizon des zones de feu véritable qu’on ne distingue plus de l’embrasement général que par un ton cerise plus clair. Sommes-nous en Afrique ou au cœur de la France ? Hélas ! c’est l’enfer avec ses splendeurs effrayantes où l’âme navrée des souvenirs de la terre fait surgir les visions de guerre et d’incendie. Ailleurs on brûle tout de bon les villages, on tue les hommes, on emmène les troupeaux. Et ce n’est pas loin, ce qu’on ne voit pas encore ! Ce magnifique coucher de soleil, c’est peut-être la France qui brûle à l’horizon !

Saint-Loup (Creuse), 21 septembre.

Le Puy-de-Dôme et la fière dentelure des volcans d’Auvergne se sont découpés tantôt dans le ciel au-delà du plateau que nous traversions, premier échelon du massif central de la France. Quelle