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lemagne entière ; en résumé, c’est au profit de la Prusse seule que tourne la guerre de 1870-71, aussi bien que celle de 1866. L’Alsace et le Luxembourg, gouvernés par des fonctionnaires prussiens, occupés par des armées prussiennes, seront le moyen de prendre en flanc les états du sud le jour où ils deviendraient récalcitrans au joug impérial. C’est le roi de Prusse qui recueille les honneurs, et ce sont ses alliés qui perdent leurs prérogatives souveraines. Peu importe après cela que les rois de Bavière, de Wurtemberg et de Saxe aient droit de contrôle sur la politique étrangère de l’empire. M. de Bismarck nous a fait voir par l’affaire du Luxembourg qu’il sait transformer en grave offense un simple péché véniel. D’ailleurs le pangermanisme est un prétexte dont l’efficacité n’est pas près d’être épuisée ; la nécessité de la défense nationale en est un autre qui n’a presque pas servi. Tout ce qui a parlé allemand à une époque quelconque de l’histoire, tout ce qui a fait partie de l’empire romain du moyen âge, tout ce qui a été peuplé jadis par les Teutons, tout cela peut être réclamé au même titre que l’Alsace et la Lorraine. Le Rhin est un fleuve allemand, dira-t-on aux Suisses et aux Hollandais ; il est juste que le territoire qu’il arrose dépende de l’Allemagne depuis les glaciers des Alpes jusqu’à la mer. La défense nationale de l’Allemagne exige qu’elle ait une marine et des ports de mer, dira-t-on à la Belgique et au Danemark ; donnez-nous le littoral de la Mer du Nord. Ces revendications, on le comprend, n’ont que des limites vagues, parce qu’elles n’ont que des causes mal définies. Une telle politique aurait dû être combattue dès le début, ce que l’Angleterre n’a pas osé faire. Au lieu de dénoncer avec vigueur l’ambition démesurée de la Prusse, le ministère britannique n’a songé qu’à organiser ce qu’il a appelé la ligue des neutres. Soi-disant pour localiser la lutte, il a contraint par son attitude l’Autriche, la Hollande, les états Scandinaves à rester tranquilles spectateurs d’une guerre atroce. Rien ne pouvait être plus favorable au vainqueur et plus fatal au vaincu que cette indifférence calculée dont les dépêches de M. de Chaudordy ont éloquemment signalé les funestes conséquences. Enfin le mal est fait, l’Angleterre nous a abandonnés dans le malheur. En attendant que cette grande nation se réveille et redevienne notre alliée fidèle, comme ses traditions, ses intérêts et la justice lui en faisaient un devoir, c’est à nous qu’il appartient, malgré nos désastres, d’organiser la ligue de défense, c’est à nous de dire aux Belges et aux Suisses, aux Hollandais et aux Danois, et même aux Russes et aux Autrichiens, qui possèdent, eux aussi, des provinces allemandes : La paix n’est qu’une trêve ; soyons en garde contre l’ennemi commun !

H. Blerzy.