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meurtrière anticipation des maux de la guerre. Cependant le public ne négligeait rien pour soulager ces misères accablantes. Les conseils-généraux, qu’on avait réunis pour les dissoudre ensuite, avaient voté des sommes importantes pour l’équipement et l’armement de leur contingent : le Nord 15 millions, le Calvados 3, la Manche 2 1/2, la Seine-Intérieure autant, les autres départemens en proportion de leurs richesses. Les communes avaient suivi cet exemple. Chacune des trois villes du Havre, de Montpellier et de Cette par exemple avait voté 1 million. Outre ces ressources créées par voie d’impôt ou d’emprunt, il n’est pas de village si pauvre qui n’ait fait des collectes se montant à plusieurs centaines de francs pour ses mobiles et ses mobilisés. Dans les villes, les femmes se réunissaient à la mairie pour travailler en commun à des vêtemens chauds destinés aux soldats. Les institutrices, les écoles, les ouvroirs, faisaient des chaussettes ou des tricots de laine. C’était une touchante et chrétienne unanimité d’efforts, qui ne faisait acception ni de rang social, ni de parti politique, ni d’âge. Malheureusement l’administration secondait mal l’élan du pays. S’il y eut dans cette guerre une colossale méprise, c’est celle qui changea tous les rouages administratifs au moment même où le pays avait le plus besoin d’unité, d’ordre et de rapidité.

À côté de l’habillement, une question plus difficile encore se présentait, celle de l’armement. Là aussi les résultats n’ont pas complètement répondu aux désirs, ni même aux efforts ; mais les difficultés étaient immenses, presque insurmontables. Il y avait deux problèmes différens : l’acquisition et la distribution des armes. Il faut rendre cette justice au gouvernement qu’il a fait tout ce qui était humainement possible pour se procurer des armes, fusils, mitrailleuses et canons ; il paraîtrait au contraire qu’il y eut beaucoup de désordre dans la répartition. Dès les premiers jours de la lutte, la France s’était trouvée au dépourvu ; les arsenaux ne pouvaient même suffire aux besoins de la garde mobile. Dans les derniers jours de l’empire, on s’imaginait triompher de tous les obstacles à l’armement en rapportant la loi qui interdisait le libre commerce des armes. Le premier acte du gouvernement du 4 septembre fut de donner sur ce point satisfaction au vœu populaire ; mais cette mesure ne tint pas ce qu’elle promettait. L’opposition avait parlé dans la chambre de prétendues offres d’un syndicat d’armuriers parisiens pour fournir à bref délai 300,000 chassepots. Il fallut rabattre de ces chiffres. Le gouvernement du 4 septembre eut le mérite de voir que cette liberté du commerce des armes serait improductive, si l’on ne centralisait pas les commandes, les achats et le contrôle. Il institua donc une commission d’armement par l’industrie privée. C’est des États-Unis que nous sont arrivées la plupart de nos car-