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un second régiment étranger avait été institué, et les cadres du premier avaient été augmentés. De nouveaux régimens et bataillons de marche étaient organisés. Pour décharger l’administration centrale, on avait donné aux généraux de division la nomination des officiers supérieurs. La classe de 1870 avait été enfin mise en route du 8 au 14 octobre. Une mesure moins bien conçue, trop générale dans ses termes, et qui devait produire plus de confusion que de force effective, avait appelé sous les drapeaux tous les célibataires au-dessous de quarante ans. Le décret qui ordonnait ces levées avait été rendu dans les derniers jours de septembre ; il ne reçut une complète exécution que dans les premiers jours de novembre. M. Gambetta, comme nous le verrons, voulut encore aller plus loin et réaliser littéralement la levée en masse. Beaucoup de temps fut perdu et d’argent gaspillé à ces essais malheureux. M. Fourichon aurait eu sans doute plus de goût pour le projet vraiment pratique des généraux Dejean et Palikao ; mais MM. Crémieux et Glais-Bizoin étaient de trop vigilantes sentinelles des principes démocratiques pour permettre que l’on cherchât le salut ailleurs que dans la levée en masse. Le dernier, dans une curieuse circulaire aux électeurs des Côtes-du-Nord, lorsqu’on pensait encore aux élections, faisait miroiter aux yeux de ses anciens commettans la promesse de deux armées de deux cent mille hommes chacune, composées de gardes nationales sédentaires marchant dans quelques semaines au secours de Paris. L’amiral Fourichon se sentit bientôt dans l’impossibilité de conserver à la fois son portefeuille et sa dignité. Un décret de Tours du 3 octobre apprit à la province, qui n’en éprouva pas une médiocre surprise, que M. Crémieux reprenait le ministère de la guerre. On imagina un comité de sept membres, parmi lesquels MM. Freycinet, Gent, Lecesne, pour la direction des affaires de la guerre. Nous ne savons au juste quel devait être le partage d’autorité entre M. Crémieux et cette sorte de consulte militaire, composée entièrement de civils. L’anarchie était au comble ; les populations se montraient profondément lasses de ce régime à la fois capricieux et inerte. Il était temps que le gouvernement de Paris jetât les yeux sur la province. Le génie tutélaire, longtemps attendu, devait nous arriver à travers les airs, sous les traits de M. Gambetta. Sans distinction de parti, il fut reçu comme un sauveur. Les Français de tout temps se sont laissé facilement séduire par des circonstances accessoires et pittoresques : le voyage aérien du célèbre orateur, sa jeunesse, son entrain, disons aussi la modération relative de ses discours à la chambre, l’entouraient d’une espèce d’auréole. La province mit à ses pieds tout ce qu’elle a d’obéissance et de dévoûment. On était depuis trop longtemps à la discrétion de septuagénaires pour ne pas se sentir revivre sous