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et pour les mobilisés des autres bans (hommes mariés) entre le 20 et le 30 décembre. Ce projet était chimérique par l’impossibilité d’exécuter les travaux nécessaires dans le temps fixé, — par la rigueur de l’hiver, qui condamnait ce mode de cantonnement, — par le manque absolu de vêtemens et d’armes pour toutes ces masses d’hommes. Il fallut renoncer à la mobilisation des mariés ; mais l’on dépensa beaucoup d’argent à l’exécution de quelques-uns de ces camps ; on y dépensa surtout beaucoup de vies d’hommes, car les infortunés qui passèrent l’hiver dans les camps de Conlie, du Contentin, etc., y furent rudement éprouvés par le froid, par le manque de vivres et par les épidémies. Pour commander ces levées infinies que l’on avait le dessein d’appeler, il fallait de nombreux généraux ; on en nomma par fournées : des journalistes eurent le plaisir de devenir subitement généraux de division, tandis qu’on mettait à l’écart d’Aurelle de Paladines, La Motterouge, de Polhès, Durrieu et tant d’autres.

Pendant tout le mois de décembre, la fécondité de M. Gambetta en circulaires et en décrets fut tout aussi grande. Il montra une louable activité pour renforcer et perfectionner notre artillerie. Les services administratifs des armées attirèrent aussi son attention. Il voulut joindre le génie civil au génie militaire : il attacha une quarantaine d’ingénieurs et de conducteurs des ponts et chaussées à chaque corps d’armée. Innombrables sont les mesures auxquelles il eut recours, les unes ingénieuses, les autres futiles, pour réparer toutes les lacunes et écarter tous les désordres. Son malheur fut de vouloir trop embrasser ; son attention, dispersée sur tous les objets, ne se concentrait pas assez sur les points principaux ; il se perdait tantôt dans les détails, tantôt dans les projets grandioses. Les événemens ne devaient que trop cruellement déjouer ses calculs.

La suite de cette longue lutte est profondément pénible. Elle est cependant pleine d’enseignemens utiles dont notre pays avait besoin, et dont il saura profiter. Nous avons laissé Amiens au pouvoir de Manteuffel à la date du 28 novembre. Il advint alors dans cette région quelque chose d’analogue à ce qui s’était passé près d’Orléans dans le courant du mois d’octobre. L’ennemi avait cru détruire notre armée du nord à Villers-Bretonneux et à Dury. Il ne l’avait qu’entamée ; elle devait reparaître après quelques jours plus compacte et plus forte. M. Gambetta lui avait trouvé un chef qui, à l’égal de Chanzy, s’est montré digne de la plus universelle estime. Nous voulons parler du général Faidherbe. Il était depuis longtemps connu des hommes spéciaux comme administrateur et comme colonisateur ; mais il n’avait jamais commandé que de petites troupes de 700 ou 800 hommes contre les nègres et les Maures du Sénégal. L’avoir choisi pour commander une grande armée, c’ė-