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quait vivement l’ennemi, qui occupait une dizaine de villages en avant de Bapaume. Ce fut une nouvelle lutte sanglante. L’ennemi fut refoulé dans Bapaume. Les Prussiens eurent encore l’arrogance de s’attribuer la victoire. Quelques jours après cependant ils évacuèrent Bapaume ; par malheur, ils avaient pu investir Péronne, qu’ils bombardèrent et ruinèrent en partie, au point qu’elle dut se rendre. Faidherbe fit de nouveau un temps d’arrêt, mais de peu de durée ; il avait reçu quelques renforts, et son armée était d’environ 40,000 hommes. Avec ces forces, Faidherbe se dirigea vers le sud, descendit près de Péronne, puis se porta sur Saint-Quentin, pour marcher sur Laon et Reims à travers les communications de l’ennemi. On se battit trois jours de suite. Le 17, des bataillons prussiens furent délogés des bois de Buire, à l’est de Péronne, et Vermand fut occupé par nous. Le 18, nous fûmes attaqués à Beau-vais, au sud-ouest de Vermand, par le général de Gœben, qui avait succédé à Manteuffel dans le commandement de l’armée du nord ; Faidherbe fit bonne contenance toute la journée, mais se retira pendant la nuit sur des hauteurs en avant de Saint-Quentin. La bataille s’y livra le 19 sur toute la ligne avec acharnement. Le 22e corps résista ; mais le 23e composé en grande partie de mobilisés, plia sous la mitraille, finit par se débander et entraîna l’armée, qui recula vers Cambrai dans un déplorable état. Les Allemands se plaisent à rendre hommage à l’habileté de Faidherbe dans cette retraite si difficile.

En Normandie, après la prise de Rouen par les Prussiens, les troupes renfermées dans cette ville s’étaient retirées partie au Havre, partie dans le Calvados. Qui le croirait ? Les trois départemens voisins, ayant les mêmes intérêts et un ennemi commun, la Seine-Inférieure, l’Eure et le Calvados, eurent longtemps trois généraux indépendans entre eux. C’est dans cette région surtout que l’unité d’action fit défaut. Il n’y eut pas moins de sept ou huit généraux qui se succédèrent en quelques semaines, ou qui commandèrent simultanément, sans aucune subordination des uns aux autres. Nulle part le désordre ne fut plus grand, et les efforts plus vains, faute d’une bonne organisation supérieure. L’on comptait, dit-on, au Havre, de 20,000 à 25,000 hommes ; d’un autre côté, sur les bords de la Risle, rivière qui coule au milieu du département de l’Eure, de Serquigny à Pont-Audemer, il y avait de 15,000 à 20,000 hommes. Ces forces réunies étaient plus que triples du nombre des Prussiens établis à Rouen et à Gisors ; mais il n’y eut aucune entente et aucun ensemble dans nos mouvemens. Les escarmouches étaient quotidiennes dans ces contrées, il y eut même plusieurs combats d’une certaine importance, entre autres à Beaumont et à Brionne. Nous voulûmes, dans les derniers jours de décembre et les premiers de janvier, faire avec les troupes du Calvados et de l’Eure un mouve-