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Jauréguiberry s’était particulièrement distingué. Le général Gougeard avait eu un cheval percé de six balles. L’on s’attendait à une attaque nouvelle le lendemain, et l’on avait bon espoir ; mais une position importante, occupée par des mobilisés de Bretagne, la Tuilerie, fut sur la fin du jour le théâtre d’une inconcevable panique. Ce fut sur ce point une débandade sans cause qui gagna les autres corps. La position n’était plus tenable ; il fallut battre en retraite le 12. Nos pertes avaient été énormes. Les Prussiens se vantèrent de nous avoir fait 20,000 prisonniers dans ces rencontres successives. Le Mans fut évacué. Chanzy, qui était malade pendant ces deux batailles, qui commandait néanmoins avec le plus grand sang-froid et la plus remarquable décision, rallia ses troupes en arrière de cette ville, et marcha sur Laval et sur Mayence. Les épreuves de cette malheureuse armée n’étaient pas encore finies. Le 13, les têtes de colonnes allemandes attaquèrent notre arrière-garde et s’emparèrent de Conlie et de Beaumont. Le 15, une partie de l’armée de Chanzy fut de nouveau engagée. Le 21e corps, sous le général Jaurès, qui n’avait presque pas pris part aux principales batailles, résista énergiquement. L’amiral Jauréguiberry eut un cheval tué sous lui, mais notre centre faiblit ; c’est à Vaiges, presque à moitié chemin entre Le Mans et Laval, qu’eut lieu cette rencontre. Le 16, Alençon fut occupé par des troupes du grand-duc de Mecklembourg. Enfin Chanzy, après quelques autres engagemens sans importance, put atteindre Laval et Mayenne ; il reçut des renforts qui, arrivés quelques jours plus tôt, eussent changé le sort de la France. Telle a été la cruelle destinée de la principale armée que la France ait improvisée depuis l’investissement de Paris. Nulle n’a fourni une plus rude carrière : elle a lutté pendant vingt-cinq jours en moins de deux mois, et a livré sept ou huit batailles rangées. Ce seul résultat est glorieux pour des hommes arrachés cet automne à leurs charrues ou à leurs ateliers, pour des troupes qui n’avaient d’autres officiers que de jeunes étudians sans expérience militaire, et qui n’étaient ni vêtues ni nourries et à peine armées. Est-il vrai, ainsi que le bruit public l’affirme, que ces mobilisés de Bretagne qui ont causé la déroute fussent sur le champ de bataille en sabots ? Assurément la plus grande partie des mobilisés que l’on rencontrait dans les villes n’avaient pas d’autres chaussures ; mais en fut-il ainsi devant l’ennemi ? Il eût fallu de vrais prodiges pour que cette armée, non-seulement improvisée, mais déguenillée, pût sauver la France.

L’on croirait avoir épuisé la mesure des infortunes humaines en contemplant les cruelles épreuves de l’armée de Faidherbe et de l’armée de Chanzy : un plus accablant spectacle de souffrances physiques et morales nous attend encore. Après la prise d’Orléans, le 4 décembre, une partie de notre armée de la Loire avait passé sur