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soins, il se reprenait avec un redoublement d’audace à s’exposer à de nouveaux périls !

Cependant le moment était venu pour le futur artiste de quitter les bancs du collège, de demander à des études pittoresques régulièrement poursuivies le développement d’instincts dont il n’avait pu jusqu’alors féconder que très incomplètement le germe. Après avoir reçu d’abord les conseils d’un peintre ami de son père, M. Montfort, un peu plus tard les leçons d’un ancien élève de Flandrin, M. Louis Lamothe, qui devait, lui aussi, mourir jeune et d’une mort plus terrible encore, il fut admis en 1861 à l’École des Beaux-Arts, et en 1862 au concours pour le prix de Rome. Ce premier concours ne lui ayant pas réussi, Regnault, pour se préparer à une nouvelle épreuve, entra en 1864, à l’École même, dans l’atelier de M. Cabanel. C’était le temps où un décret venait, sous prétexte d’affranchissement, d’ériger en droit le caprice, en doctrine l’anarchie, de proscrire à peu près de l’éducation l’ordre et la méthode, de laisser chaque élève si indépendant quant, au choix de ses études, si libre même de ne rien étudier du tout, que ces mots « d’école » et « d’enseignement, » employés encore à propos de l’organisation nouvelle, n’étaient plus guère en réalité qu’une étiquette sur le vide. Dangereux ou pernicieux pour la plupart des jeunes esprits qu’il semblait d’avance dispenser de tout effort, ce système légal de l’indépendance à outrance, ne faisait pas, il est vrai, courir les mêmes risques à une intelligence naturellement aussi riche, aussi active que celle de Regnault. D’ailleurs l’habile maître sous la direction duquel il s’était placé l’aurait, le cas échéant, prémuni contre les exagérations de la confiance en soi, contre la méprise où l’on tombe en n’attachant dans l’étude de l’art qu’une importance médiocre à l’élément scientifique. On peut dire toutefois que Regnault ne traversa pas cette période troublée sans quelque dommage pour les progrès sérieux de son talent, ni surtout sans hésitation quant à la voie qu’il lui appartenait de suivre, au but qu’il devait se proposer. Les premiers ouvrages de sa main qui parurent, Véturie aux pieds de Coriolan, Orphée, Thétis offrant à Achille les armes forgées par Vulcain, tableau de concours auquel le prix de Rome fut décerné en 1866, — des portraits et des panneaux de nature morte exposés successivement au Salon, — quelques autres essais dans les genres de peinture tour à tour les plus élevés et les plus humbles, montrent assez que le jeune artiste en était encore à user de sa rare facilité avec plus d’indiscrétion que de prudence, à essayer ses forces un peu à l’aventure[1].

Sans doute, si diversement inspirés qu’ils fussent, si capricieuses ou

  1. À la nomenclature des tableaux peints par Regnault à l’époque où il fréquentait encore assez irrégulièrement du reste, l’École des Beaux-Arts et l’atelier de M. Cabanel, il faudrait ajouter une vaste toile représentant la Descente de la croix, si ce grand ouvrage, connu seulement de quelques amis, n’était resté, dit-on, à peu près à l’état d’ébauche.