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pays, si souvent déçu, de combats à outrance et sans merci, de la guerre jusqu’à « complet épuisement, » et de rechercher dans des agitations belliqueuses une popularité facile en rejetant sur d’autres le fardeau de résolutions pénibles dont on décline la responsabilité après les avoir rendues inévitables. En réalité, on était serré dans ce terrible dilemme : ou bien il fallait faire ce qu’on a fait, céder à la pression de la nécessité, se préparer à négocier une paix dont les conditions ne pouvaient être que rigoureuses, ou bien il n’y avait qu’à laisser expirer l’armistice en livrant cette fois la France entière aux déchaînemens furieux de la guerre, aux caprices violens de l’envahisseur. Il fallait en un mot rentrer plus que jamais dans la lutte ; mais pour recommencer une telle guerre les décrets et les proclamations ne suffisent pas ; on ne contient pas ou on ne repousse pas un ennemi habile avec des paroles. Il aurait fallu tout au moins être prêt à ce nouveau combat ou n’être pas sans espoir d’être secondé à un jour donné par une intervention européenne. Sur quoi pouvait-on compter ? Avait-on des forces organisées et suffisantes ? pouvait-on se promettre un appui de l’Europe ?

La vérité, la triste vérité, c’est qu’on ne pouvait compter sur rien ; c’est que dans ces cinq mois, remplis de tant de tragiques péripéties, la France n’a prodigué son sang, ses ressources, sa bonne volonté, sa soumission, que pour arriver à de nouveaux revers qui ont fini par déconcerter sa résolution en opprimant son patriotisme. Nous ne voulons accuser personne, les récriminations ne serviraient à rien pour le moment ; mais enfin, à l’heure où il aurait fallu recommencer la guerre, où en étaient nos armées, et que pouvaient-elles ? Ce qui est trop clair, c’est qu’après cette longue campagne entrecoupée de combats vaillamment soutenus, ces armées ont souffert cruellement d’une inexpérience inévitable, d’une organisation qui ressemblait de fort près à la désorganisation, d’une confusion perpétuelle de plans et de direction, et ce qui est plus navrant encore, c’est que, combattant dans leur propre pays, elles se sont trouvées souvent sans vivres, sans vêtemens, obligées de faire les marches les plus pénibles, de soutenir le choc de l’ennemi sans avoir mangé, les pieds presque nus dans la boue et la neige. Les vices d’une administration paresseuse ou imprévoyante leur ont été aussi funestes que les rigueurs d’un hiver exceptionnel, et c’est ainsi que ces armées novices, composées en grande partie de gardes mobiles, de gardes nationaux mobilisés, se sont fondues rapidement par la misère, par l’incohérence, parce qu’elles n’avaient ni l’instruction militaire, ni les fortes habitudes de la discipline.

On n’a point eu des armées, on a eu de vastes agglomérations, des masses nombreuses difficiles à manier, peu accoutumées au rude métier de la guerre, accessibles aux défiances et aux découragemens, et ces soldats, éprouvés par tant de revers, ont fini par ne plus croire ni à leurs chefs, ni à eux-mêmes, ni à l’efficacité de la lutte. Somme toute, où en