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Ici, je ne connais que des gens excellens, très honnêtes et sincères jusqu’à l’ingénuité ; mais leur opinion, mal établie, composée d’élémens de certitude mal combinés, chauffée à blanc par l’exaspération que nous cause à tous le malheur commun, tourne à une véritable confusion de principes. Naturellement on est trop sous le coup de mauvaises nouvelles pour raisonner, et chacun laisse échapper le cri de son cœur ou l’expression de son tempérament. Je comprends cela, je l’excuse, j’en partage l’émotion ; rentrée en moi-même, je m’affecte autant du mal intérieur qui nous ronge que des maux dont la guerre nous accable.

Est-il vrai que la république seule puisse sauver la France ?

Oui, je le crois fermement encore, mais une république constituée et réelle, consentie, défendue par une nation pénétrée de la grandeur de ses institutions, jalouse de maintenir son indépendance au dedans comme au dehors. Ce n’est pas là ce que nous avons. Nous acceptons, nous tolérons une dictature que je ne veux pas juger encore, qui répugne cependant à la majorité des citoyens, par ce seul fait qu’elle est trop prolongée et que le succès ne la justifie pas. Que faire pourtant ? Paris assiégé ne doit pas changer son gouvernement, à moins que l’ennemi n’y consente, et je comprends qu’il en coûte de le lui demander tarit qu’on espère se défendre… Mais quand on ne l’espérera plus ?

On me crie qu’il ne faut pas supposer cela. Voici où l’exaltation me paraît funeste. Dans toute situation raisonnable, ne faut-il pas examiner le présent pour augurer de l’avenir ? Les optimistes de parti-pris et les pessimistes par nature sont également condamnés à se tromper toujours. Les solutions de la vie sont toujours imprévues, toujours mêlées de bien et de mal, toujours moins riantes et moins irréparables qu’on ne les a envisagées ; quand on est sur la pente rapide d’un précipice, s’y jeter à corps perdu, que ce soit vertige de terreur ou de témérité, ne me paraît pas fort sage. Il vaudrait mieux tâcher de se retenir ou de couler doucement au fond. Paris est peut-être pris du vertige de l’audace à l’heure qu’il est. C’est beau, c’est généreux ; mais n’est-ce pas la fière et mâle expiation d’une immense faute commise au début ? Ne fallait-il pas, tout en acclamant la république à l’Hôtel de Ville, demander à la France de la proclamer ? Elle l’eût fait en ce moment-là. Les membres ne sont pas si éloignés du cœur qu’ils résistent à son élan. On avait quelques jours encore à employer avant l’investissement, et on eût pu arrêter l’ennemi aux portes de Paris en lui faisant des propositions au nom de la France constituée. Il eût consenti à ce qu’elles fussent ratifiées par le vote des provinces envahies.

On n’avait pas le temps, dit-on ; il fallait préparer la défense. Puisqu’on avait élu un gouvernement spécialement chargé de ce