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il a la figure toute maculée. Il semble que tout soit comme entraîné à prendre fin en même temps. On n’entend parler que d’accidens effroyables, de maladies foudroyantes. On dirait que la raison de vivre n’existe plus et que tout se brise comme de soi-même. D’aucun point de l’horizon, le salut ne veut apparaître ; quelles ténèbres ! — Paris va donc braver plus que jamais les horreurs du siège, et l’espoir de le délivrer s’éloigne ! Cette fois il a tort, ou il est indignement abusé.

Jeudi 10.

Notre impuissance semble s’accuser de plus en plus. Nous avons pourtant une armée sur la Loire, mais que fait-elle ? est-ce bien une année ? — Il neige déjà ! la terre est toute blanche, des arbres encore bien feuillus font des taches noires de place en place. La campagne est laide aujourd’hui, sans effet, sans moelleux, sans distances. La terre devient cruelle à l’homme.

Ah ! voici enfin un fait : Orléans est repris par nous ; l’ennemi en fuite, poursuivi jusqu’à Artenay. La garde mobile s’est bien battue, la ville s’est défendue bravement. Pourvu que tout cela soit vrai ! Si nous pouvons lutter, l’honneur commande de lutter encore ; mais je ne crois pas, moi, que nous puissions lutter pour autre chose. Nous sommes trop désorganisés, il y aura un moment où tout manquera à la fois. Ceux qui sont sur le théâtre ne savent donc pas que les dessous sont sapés et ne tiennent à rien ? On se soupçonne, on s’accuse, on se hait en silence. La vie ne circule pas dans les artères. Nous avons encore de la fierté, nous n’avons plus de sang.

La victoire se confirme, et, comme toujours, elle s’exagère. Le général d’Aurelle de Paladines, singulier nom, est au pinacle aujourd’hui. C’est, dit-on, un homme de fer. Pauvre général ! s’il ne fait pas l’impossible, il sera vite déchu. Qu’ils sont malheureux, ces hommes de guerre ! Était-il bien prudent de proclamer la trahison de Bazaine ? Si elle est réelle, ne valait-il pas mieux la cacher ou nous laisser dans le doute ?

Dimanche 13 novembre.

Nous voici tous revenus définitivement au bercail. Définitivement !… c’est un joli mot par le temps qui court. Mes petites sont ivres de joie de retrouver leurs chambres, leurs jouets, leur chien, leur jardin. À cet âge, un jour de joie. C’est toujours ! Leur gaîté nous donne un instant de bonheur, nous n’en avons plus d’autre.

On se demande si l’on pourra supporter quelque temps encore ce désespoir général sans devenir fou, lâche ou méchant. Ceux qui sont fous, lâches ou méchans semblent moins à plaindre. Leur dé-