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juger soi-même et demander la paix avec moins de confiance dans la guerre. L’erreur funeste a été de croire que notre courage et notre dévoûment suffiraient là où il fallait le sens profond de la vie pratique. Nous ne l’avons pas eu, le gouvernement de Paris n’a pas pu diriger la France ; ses délégués ne l’ont pas su. La France est devenue la proie de spéculations monstrueuses en même temps que l’armée en est la victime. Toute la science politique consistait à distinguer, entre tant de dévoûmens qui s’offraient, les boucs d’avec les brebis. Ceci dépassait les forces de deux vieillards, — hommes d’honneur à coup sûr, mais débordés et abusés dès les premiers jours, — et celles d’un jeune homme sans expérience de la vie politique et sans sagesse suffisante pour se méfier de lui-même. Tout serait pardonnable et déjà pardonné, malgré ce qu’il nous en coûte, si la résolution de n’en pas appeler à la France n’avait prévalu. Il s’est produit sourdement et il se produit aujourd’hui ouvertement une résistance à notre consentement qui nous autorise à de suprêmes exigences. Nous voulons qu’on s’avoue incapable ou qu’on nous sauve. Nous continuons nos sacrifices, nous étouffons nos indignations contre une multitude d’infamies autorisées ou tolérées, nous engageons le peuple à attendre, à subir, à espérer encore ; mais tout empire, et le ton du parti qui s’impose devient rogue et menaçant.

C’est le commencement d’une fin misérable dont nous paierons le dommage. La délégation dictatoriale va finir comme a fini celle de l’empire. La vraie république sauvera-t-elle son principe à travers ce cataclysme ? — Je le sauve dans ma conscience et dans mon âme ; mais je ne puis répondre que de moi.

Le roi Guillaume va sans doute écrire une belle lettre de jour de l’an à sa femme. Rien de mieux ; mais pourquoi les journaux allemands reproduisent-ils avec enthousiasme ce que le roi dit à la reine, ce que la reine dit au roi ? C’est pour l’édification de la chrétienté sans doute, les rois sont si pieux ! Ils remercient Dieu si humblement de tout le sang qu’ils font répandre, de toutes les villes qu’ils brûlent ou bombardent, de tous les pillages commis en leur nom ! Ils vont rétablir en Allemagne le culte des saints. J’imagine que saint Shylock et saint Mandrin seront destinés à fêter la campagne de France et le bombardement de Paris.

George Sand.

(La troisième partie au prochain n°)