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soumis au mundium, mais seulement du chef de chaque groupe. Celui-là sans nul doute était un personnage puissant et respecté. Qu’il ait su conserver sa liberté individuelle, qu’il ait mis sa dignité personnelle hors de toute atteinte, qu’il ait réussi à réserver sa sphère d’action isolée et indépendante, il n’y a rien d’étonnant à cela. Il est assez facile d’être maître de soi quand on est déjà maître des autres ; l’individu est fort lorsqu’il réunit en sa seule personne la force de tout un groupe nombreux et docile. Celui qui se sent les droits et le cœur d’un chef ne peut guère être un esclave.

Le système judiciaire des Germains était conforme à leur état social et politique. Il y avait chez eux deux sortes de justice, la justice privée et la justice publique. Chaque chef avait la juridiction sur sa famille, sur ses serfs, sur ses lites, sur tous les hommes soumis à son mundium. Lui seul en effet était chargé de maintenir l’ordre dans cette petite société dont il était comme le roi. Quelqu’un de ses subordonnés avait-il commis un délit, le chef en était seul responsable envers les autres familles de la tribu, et il est clair que cette responsabilité entraînait pour lui le droit et le devoir de punir le coupable. Cette sorte de justice était toute privée et toute domestique ; elle ne sortait pas de l’enceinte de la famille. Nous ignorons d’ailleurs si l’inférieur avait quelques garanties de droit vis-à-vis de son maître.

Quant à la justice publique, elle ne s’exerçait guère, à proprement parler, que dans un cas, celui où le crime avait été commis contre la tribu elle-même. Si par exemple un homme s’était rendu coupable de trahison ou de lâcheté devant l’ennemi, la tribu, personnellement lésée par le crime, en poursuivait elle-même le châtiment. Le roi ne jugeait pas seul ; cela eût paru contraire à la liberté et au droit. Il n’exerçait en aucune façon le pouvoir judiciaire, et la justice en aucun cas n’émanait de lui ; mais la communauté tout entière, c’est-à-dire le corps des chefs de famille, s’assemblait sous la présidence du roi, ou plus souvent sous celle d’un prêtre. Elle examinait l’accusation, discutait, et pouvait prononcer la peine de mort contre le coupable. La société, qui avait été frappée par le crime, frappait à son tour le criminel. D’ailleurs la sentence ne pouvait être prononcée que par le prêtre, et ne pouvait être exécutée que de sa main. Par un reste du vieux régime théocratique, la justice criminelle semblait encore rendue au nom des dieux.

Mais, si le délit ou le crime n’avait frappé qu’un simple particulier, les choses se passaient autrement. Tacite nous dit bien qu’il y avait dans chaque canton un tribunal composé d’une centaine de juges ; seulement on se ferait une idée fort inexacte de cette espèce de justice, si l’on s’en tenait aux paroles assez vagues de Tacite,