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droit. » On lit dans une autre : « Le maire du village d’Amelle jugera les vols et délits suivant le jugement des échevins de la cour du village. » Un cartulaire mentionne un procès qui a été jugé « à la cour du maire Richart par des personnes connaissant les coutumes. » Le Coutumier de Picardie montre que dans les villages de cette province les paysans que l’on appelait hommes de poësté jugeaient les procès. Quelquefois tous les paysans avaient le droit de siéger aux plaids ; d’autres fois ils élisaient plusieurs d’entre eux pour remplir ce devoir. « Dans le village de Croisettes, est-il dit dans une charte, les manans et tenanciers élisent chaque année sept échevins, lesquels ont connaissance et juridiction du gouvernement et police du village, du bien public et de toutes les causes et actions personnelles. » À une autre extrémité de la France, dans le Béarn, la justice était rendue dans chaque bourg « par le bailli et par tous les hommes libres. » Dans un petit village de la Bourgogne, nous trouvons un arrêt de 1216 qui a été rendu par quatre juges élus par les habitans du village. En Alsace, chaque petite communauté rurale avait sa cour, qui était convoquée et présidée par le maire ou le prévôt, et qui était composée des paysans. On fit dans des centaines de chartes de ces villages alsaciens des formules comme celles-ci : « lorsqu’un homme réclamera justice au maire, celui-ci devra convoquer la cour ; » — « lorsqu’un voleur aura été arrêté, le prévôt siégera en justice avec les habitans du lieu ; » — « quiconque aura une réclamation à faire se présentera devant le maire et la cour du village ; » — « quand un paysan a commis un délit, le maire et les autres paysans doivent le punir ; ». — « toutes les questions qui seront soumises au plaid devront être délibérées devant le prévôt et décidées d’après la sentence des paysans[1]. » Ainsi le seigneur féodal n’était jamais présent, son représentant ne faisait que présider le tribunal, et les vrais juges étaient les vilains. On voit même dans plusieurs chartes que le maire devait se retirer pendant la délibération des juges, afin que leur liberté fût mieux assurée et mieux en évidence.

Telle est l’organisation judiciaire que les actes authentiques nous montrent comme constamment établie à l’égard des vilains[2] ; mais, s’il en est ainsi, comment faut-il entendre cette maxime du

  1. Ch. Giraud, Histoire du droit français au moyen âge. — Laferrière, Histoire du droit français. — Hanauer, les Paysans de l’Alsace au moyen âge.
  2. Tous les lecteurs feront comme nous une réserve. Il est clair que, si le principe était constant, l’application était fort inégale. Il n’y avait aucune uniformité ; à peine trouverait-on deux villages qui eussent une constitution identique. On doit aussi tenir compte des désordres et des abus qui se glissent dans toute société, et dont celle du moyen âge n’était assurément pas exempte.