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renversant toutes les lois, le capricieux pouvoir d’un dictateur emporté à la dérive par les passions révolutionnaires.


I.

Il semble que, par le choix des membres qui composèrent la délégation de Tours, le gouvernement du 4 septembre eût voulu calmer le froissement éprouvé par la province. MM. Crémieux et Glais-Bizoin, quoique députés de Paris, avaient en effet des liens nombreux avec le reste de la France. Chacun d’eux pouvait être considéré par les départemens comme una persona grata. Ils avaient une bonne situation, l’un en Bretagne, dans les Côtes-du-Nord, l’autre au midi dans la Drôme. ; ils offraient également l’une des garanties que la province apprécie et recherche le plus : la fortune. C’étaient deux vétérans parlementaires qui n’avaient jamais excité la haine, ni même la crainte d’aucun parti. On était habitué à les regarder comme des hommes bien intentionnés, débonnaires, plus capables de vanité que de despotisme. Quoique l’un, M. Crémieux, eût montré, dans diverses circonstances de sa vie politique, un penchant trop accusé pour les idées socialistes et les traditions révolutionnaires, il ne passait pas cependant pour un sectaire ou un jacobin. Ils avaient enfin, ce qui est d’un grand prix en province, la réputation d’hommes corrects et respectables dans la vie privée. C’étaient là de grands avantages, qui assuraient aux deux délégués la bienvenue dans les départemens : ils étaient sûrs de ne pas rencontrer mauvais accueil ; mais, si l’on réfléchit à l’immensité de la tache qui allait incomber aux délégués de Tours, on ne doit pas s étonner que la province ne se soit pas sentie parfaitement rassurée par la présence de MM. Crémieux et Glais-Bizoin. Les sympathies ne suffisent pas pour enchaîner la confiance ; l’on s’effrayait de voir deux vieillards prendre sur leurs épaules un fardeau si lourd dans un pareil moment. Derrière eux se montrait un homme jeune, alerte, d’une activité dévorante : c’était M. Clément Laurier. Peu connu en province, M. Laurier n’apportait aucun crédit au gouvernement de Tours. On le savait avocat et ancien secrétaire de M. Crémieux ; sa carrière politique se bornait à une plaidoirie dans l’affaire du prince Pierre Bonaparte. On ne tarda pas à s’apercevoir que M. Laurier n’était pas une personnalité assez austère pour donner à la délégation la force qui lui manquait. Malgré ses circulaires, il passa toujours pour avoir plus de désinvolture que de gravité. Ce n’était certainement pas lui qui pouvait servir de lest et donner du poids à la délégation que Paris avait envoyée à la province pour travailler au salut commun. Plusieurs personnages encore étaient