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quand on voulut les employer, il fallut faire des exécutions rigoureuses. La société de la Rotonde décidait en outre que « la machine administrative et gouvernementale de l’état, étant devenue impuissante, était abolie, » — que « tous les tribunaux criminels et civils étaient remplacés par la justice du peuple, » — que le paiement de l’impôt et des hypothèques était « suspendu, » et l’impôt remplacé par les contributions des communes fédérées, « prélevées sur les classes riches proportionnellement au salut de la France, » — que « l’état, étant déchu, ne pouvait plus intervenir dans le paiement des dettes privées, » — que « toutes les organisations municipales existantes étaient cassées et remplacées dans toutes les communes fédérées par des comités de salut de la France, qui exerceront tous les pouvoirs sous le contrôle immédiat du peuple… » Tel était le programme de la démocratie lyonnaise. On verra que plusieurs de ces théories furent appliquées presque à la lettre par MM. Esquiros, Duportal et autres préfets du 4 septembre ; mais les rédacteurs de cette étrange constitution n’entendaient pas laisser morceler leur œuvre, ils la voulaient faire fonctionner dans son ensemble. Ils recoururent à la force, et firent choix, comme instrument, du « citoyen général Cluseret. » Paris connaît ce militaire excentrique que nous a légué la guerre américaine. Le peuple parisien avait bafoué ce personnage pour un article fameux contre le gouvernement de la défense nationale. Avide de gloire civique et de hauts emplois, ce « citoyen général » se rendit à Lyon, puis à Marseille, à Toulon, à Nice, poursuivant sans cesse la fortune sur l’océan populaire, et ayant toujours soin de mettre au moins cent lieues entre les Prussiens et son épée. Une manifestation de dix mille personnes se rendit à l’hôtel de ville. Le citoyen Saigne, qui la dirigeait, ordonna au conseil municipal de se réunir, puis demanda que le général commandant l’armée de Lyon et tous les officiers supérieurs fussent arrêtés immédiatement, que le commandement en chef des forces armées de Lyon et du midi, ainsi que des forts de Lyon, fût confié au « citoyen général Cluseret. » Ces mesures furent sanctionnées par les acclamations du peuple. Le citoyen Cluseret, qui n’attendait que ce moment, apparut au balcon de l’hôtel de ville pour annoncer qu’il acceptait les pouvoirs que le peuple voulait bien lui confier. La manifestation continuait à encombrer la place des Terreaux ; la foule s’y trouvait encore plusieurs heures après ce premier acte, quand le citoyen Saigne reparut au balcon pour annoncer que le général Cluseret avait été arrêté au moment où il revenait de la Croix-Rousse à l’hôtel de ville. L’hôtel de ville fut aussitôt envahi par la foule, et la déchéance du conseil municipal fut proclamée. Une demi-heure après, le général Cluseret, qui avait été rendu à la liberté, repa-