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Mais l’idée dominante, l’idée principale chez tous ces fonctionnaires était celle qu’exprimaient avec tant de bonheur M. Esquiros et la ligue du midi dans leur manifeste. Il fallait « empêcher la hiérarchie militaire d’entraver l’action du peuple. » Pauvres généraux français ! à quelles avanies ne furent-ils pas exposés pendant cette campagne ! Combien furent brutalement révoqués par le gouvernement de Tours ou de Bordeaux ! combien incarcérés par les préfets ! combien encore arrêtés, conspués, couverts de boue, poursuivis à coups de pierres par la populace ! Plût au ciel qu’il n’y eût pas eu de plus grands excès, et que le sang d’innocens et utiles officiers n’eût pas été répandu sous prétexte de civisme ! Les délégués des comités révolutionnaires de Marseille et de Lyon se rendent à Grenoble ; ils fomentent l’agitation par leurs violentes menaces, et obligent le général Monnet à donner sa démission. Le colonel Cassagne, commandant de place, est emprisonné. Ce ne fut pas la dernière fois que la population et les autorités de Grenoble déployèrent leur énergie et leur courage à molester nos généraux. À Auxerre, le général de Kersalaun, accusé de modérantisme, est enlevé la nuit de son domicile par une poignée d’amis du peuple et conduit à la préfecture. Il n’est pas jusqu’à la paisible Savoie qui n’arrache la démission du général commandant le département ; mais l’affaire qui fit le plus de bruit à cette époque, ce fut celle du général Mazure. Le gouvernement de Tours s’était divisé sur une question importante. MM. Crémieux et Glais-Bizoin avaient conféré à M. Challemel-Lacour, préfet du Rhône, tous les pouvoirs civils et militaires. M. l’amiral Fourichon, alors ministre de la guerre, avait envoyé dépêche sur dépêche au général de division Mazure, commandant à Lyon, pour lui enjoindre « de maintenir intacts les attributions et les droits de l’autorité militaire, » et de ne pas accepter d’ordres de l’autorité civile. C’est dans les journées du 29 et du 30 septembre que se produisit cette complication. Après avoir eu avec le préfet du Rhône des explications qui paraissaient satisfaisantes, le général Mazure vaquait aux préparatifs de défense de la ville de Lyon. Le 1er octobre, en revenant de sa visite des forts, il trouve chez lui une lettre préfectorale lui demandant sa démission. Il pria le préfet de vouloir bien attendre le retour d’un officier d’état-major dépêché à Tours afin de connaître les instructions définitives du ministre de la guerre et du gouvernement ; mais le préfet n’attendit pas : il fit une proclamation où il expliquait au peuple « qu’il avait ordonné à la garde nationale de s’assurer d’un chef rebelle à la république. » Trois bataillons de la garde nationale de la Croix-Rousse, de la Guillotière et de Vaise furent convoqués à sept heures du soir et dirigés vers une caserne où l’on disait que s’était retiré le général. Les soldats accueillent la milice populaire par des cris de vive la