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contraint de donner sa démissionne gouvernement la refuse ; mais il lui ordonne de résider désormais à Carcassonne. Vers la même époque, à Marseille, ont lieu des scènes qui se partagent entre le tragique et le comique. Le gouvernement de Tours, après avoir cherché en vain à remplacer M. Esquiros par M. Marc Dufraisse, s’était décidé à nommer M. Gent administrateur des Bouches-du-Rhône avec la plénitude des pouvoirs civils et militaires. Assurément ceux qui n’ont pas oublié l’ancien proscrit de Noukahiva, concurrent de M. Arago aux élections de la Seine, croiront que ce choix devait paraître assez radical aux Marseillais. Il n’en fut rien. M. Gent était devenu un modéré : les démocrates de Marseille résolurent de ne point l’accepter. La nomination était du 31 octobre ; en même temps la commission départementale, siégeant à la préfecture des Bouches-du-Rhône et la fidèle auxiliaire du préfet rappelé, était dissoute. À peine le peuple de Marseille était-il au courant de ces décisions de l’autorité centrale, qu’il se produisit une ridicule échauffourée. Le « citoyen général Cluseret, » qui était accouru de Lyon, parvint alors à ses fins, et fut nommé général en chef des forces de la ligue du midi. Il n’eut que le temps de faire deux proclamations diamétralement opposées sur les armées permanentes et les armées populaires. Le lendemain, il était rendu à la vie privée ; décidément il était dans la destinée de ce fameux général de ne jamais voir un Prussien. Cependant le nouvel administrateur des Bouches-du-Rhône, M. Gent, arrivait à la préfecture. Les salons étaient pleins de personnages peu sympathiques au nouveau-venu. Il se passa une scène d’une indescriptible confusion. M. Gent reçut un coup de pistolet et fut blessé. Il se rétablit, et s’efforça de faire oublier son prédécesseur en l’imitant. Enfin à Toulouse le citoyen Royannez faisait voter par une convention démocratique « l’impôt forcé, la jonction avec la ligue du midi, la création de commissaires civils en mission aux armées, la levée en masse, etc. »

Telles avaient été les suites de la proclamation de M. Gambetta sur la trahison de Bazaine. En résumé, depuis le 9 octobre jusqu’à la seconde semaine de novembre, la France avait été pleine de confusion et complètement livrée à l’arbitraire des préfets ; mais le gouvernement central avait du moins gardé quelque mesure : il n’avait pas ouvertement violé les lois fondamentales, il ne s’était pas engagé à fond de train dans la voie révolutionnaire. Nous allons assister désormais à ces entraînemens, à cet emportement effréné du jeune dictateur et de ses collègues.


III.

Le mois de novembre débutait par la rupture des négociations pour l’armistice. La province, qui avait eu un moment d’espoir,