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nombre est infini, et qui sont le seul moyen de concevoir les corps et les âmes. Les atomes de matière sont contraires à la raison, outre qu’ils sont encore composés de parties, puisque l’attachement invincible d’une partie à l’autre n’en détruirait point la diversité. Il n’y a que les atomes de substance, c’est-à-dire les unités réelles et absolument destituées de parties, qui soient les sources des actions, les premiers principes de la composition des choses et comme les derniers élémens de l’analyse des substances. On les pourrait appeler, d’après Leibniz, des points métaphysiques. Ils ont quelque chose de vital et une espèce de perception, et les points mathématiques en sont le point de vue pour exprimer l’univers ; mais quand les substances corporelles sont resserrées, leurs organes ensemble ne font qu’un point physique à notre égard. Ainsi les points physiques ne sont indivisibles qu’en apparence ? les points mathématiques sont exacts, seulement ce ne sont que des modalités. Il n’y a que les points métaphysiques ou de substance (formes ou âmes de Leibniz) qui soient exacts et réels, et sans eux il n’y aurait rien de réel, puisque sans les véritables unités a n’y a pas de multitude.

Les points substantiels ou monades, sans étendue ni figure, sont donc proprement les forces internes et spécifiques des choses. Nous les concevons, nous ne les imaginons point. De même que, sans les signes du langage, nous serions incapables de science, de même, sans l’appui des représentations sensibles que fournissent le corps et le mouvement, nous ne pourrions pas connaître la force. Nous n’en sommes pas moins contraints d’inférer que celle-ci est la réalité dont le corps et le mouvement ne sont que les images concrètes et sensibles, non intelligibles. En résumé, il y a dans le monde plus que les manifestations phénoménales, plus que les formes visibles, plus que le mouvement exprimé ; il y a l’énergie, le ressort, l’activité cachée qui sommeille, la puissance interne concentrée et condensée, toujours prête à se traduire en d’innombrables apparences. Imperceptibles et inétendues, les forces-mères, sources fécondes de toute action et de toute vie, constituent, dans la doctrine de Leibniz, l’essence même des choses.

Comment ces forces engendrent-elles les corps et les âmes, et quels sont les rapports de ces derniers ? Leibniz développe à ce sujet des idées entièrement originales. Les âmes sont des monades d’une espèce plus parfaite et d’une activité supérieure, principes de toutes les énergies qui se traduisent plus spécialement par l’organisation, la vie, la pensée, etc. Il y a des âmes partout, sinon des âmes pensantes, au moins des forces capables de déterminer dès apparences quasi-vitales. Leibniz tient ainsi que le nombre des âmes est infini, et qu’il n’y a point de portion de matière, si petite qu’elle soit, où l’on ne trouve encore une entéléchie vivante ; mais, de même que