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tations, à promener sans cesse devant les yeux du pays tous les spectres révolutionnaires, si l’état est obligé longtemps encore de payer des ouvriers gardes nationaux pour aller en faction auprès des canons de la butte-Montmartre ? Que ceux qui passent leur temps à semer ces agitations se demandent un moment ce qu’ils pourraient faire de mieux pour plaire à nos ennemis. Certainement M. de Bismarck ne pourrait que les encourager à continuer. De cette façon, la France ne pourrait se racheter, elle s’épuiserait dans des convulsions stériles, elle aggraverait d’elle-même l’impuissance momentanée où la guerre l’a laissée ; pendant ce temps, 50,000 Allemands resteraient en Champagne, vivant à nos dépens. Tout serait pour le mieux au gré de M. de Bismarck, qui pourrait être fort tranquille. Ah ! ce sont là d’étranges patriotes, d’étranges serviteurs de la France, de singuliers défenseurs de la république elle-même ; d’un seul coup, ils font tout à la fois les affaires de l’ennemi extérieur et de la réaction. Ils ne voient pas que, même s’ils triomphaient un instant, même s’ils parvenaient à s’imposer pour quelques mois, c’est alors que la république serait plus que jamais perdue, car enfin un pays comme la France ne se résigne pas à vivre bien longtemps sous le joug des passions subalternes. On se jette dans la réaction pour échapper à l’anarchie ; c’est l’éternelle histoire. Si les révolutionnaires ne le voient pas, il faut le leur faire voir, il faut le voir pour eux, et dans tous les cas aujourd’hui il faut les contraindre à respecter cette paix intérieure qui seule peut permettre à la France de respirer, de se relever enfin de tant de malheurs.

Après tout, les destinées de la France ne peuvent rester à la merci d’une faction ; les partis violens n’ont que le degré d’influence qu’on leur laisse, et ne nuisent le plus souvent qu’à leur propre cause. L’essentiel est qu’on ne s’attarde pas dans cette confusion, que chacun se hâte de prendre son rôle dans ce travail de réorganisation où nous sommes engagés, et que cette assemblée qui était hier à Bordeaux, qui sera demain à Versailles, sente bien elle-même l’immensité de la tâche qui lui est imposée. C’est par elle et par le gouvernement qu’elle a choisi qu’un certain apaisement peut renaître, et que notre situation peut se raffermir. Que les passions s’agitent encore et profitent de ces frémissemens qu’une longue et douloureuse épreuve laisse dans toute une population, ce n’est pas bien surprenant ; la pire des choses serait de répondre à des passions par des passions, et de faire de la politique avec des préjugés, des ressentimens ou des fantaisies. Assurément elle est très patriotique, cette assemblée, elle a l’instinct du bien public ; elle n’a qu’un malheur qui tient peut-être à son inexpérience, elle ne sait pas toujours où elle va, elle a de l’incohérence, de l’indiscipline, et l’initiative parlementaire y fleurit sous la forme de toute sorte de propositions individuelles qui prouvent plus d’imagination que d’esprit po-