Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous n’espérions pas ce bien-être à Boussac. Ces Marchois nous sont décidément très supérieurs.

5 octobre.

Grâce au bain, à la belle vue et surtout aux excellens amis qui nous comblent de soins et d’affection, nous resterions volontiers ici à attendre la fin de l’épidémie, qui ne cesse pas à Nohant : les nouvelles que nous en recevons sont mauvaises ; mais nous avons un homme avec nous, un homme inoccupé qui veut retourner au moins à La Châtre pour n’avoir pas l’air de fuir le danger commun. Puisque le danger approche, il voulait nous mener, mère, femme et enfans, dans le midi ; nous disions oui, pensant qu’il y viendrait avec nous, et attendrait là qu’on le rappelât au pays en cas de besoin. Par malheur, les événemens vont vite, et quiconque s’absente en ce moment a l’air de déserter. Comme à aucun prix nous ne voulons le quitter avant qu’on ne nous y oblige, nous renonçons au midi, et nous nous occupons, par correspondance, de louer un gîte quelconque à La Châtre.

6 octobre.

À force d’être poète à Boussac, on est très menteur ; on vient nous dire ce matin que la peste noire est dans la ville, la variole purpurale, celle qui nous a fait quitter Nohant. On s’informe ; la nouvelle fait des petits. Il y a des cadavres exposés devant toutes les portes ; c’est là, — à deux pas, vous verrez bien ! — Maurice ne voit rien, mais il s’inquiète pour nous et veut partir. Comme nous comptions partir en effet dimanche, je consens, et je reboucle ma malle ; mais Sigismond nous traite de fous, il interroge le maire et le médecin. Personne n’est mort depuis huit jours, et aucun cas de variole ne s’est manifesté. Je défais ma malle, et j’apprends une autre nouvelle tout aussi vraie, mais plus jolie. La nuit dernière, trois revenans, toujours trois, sont venus chanter sur le petit pont de planches qui est juste au-dessous de ma fenêtre, et que je distingue très bien par une éclaircie des arbres ; ils ont même fait entendre, assure-t-on, une très belle musique. Et moi qui n’ai rien vu, rien entendu ! J’ai dormi comme une brute, au lieu de contempler une scène de sabbat par un si beau clair de lune, et dans un site si bien fait pour attirer les ombres !

7 octobre.

Promenade à Chissac, c’est le domaine de Sigismond, dans un pays charmant. Prés, collines et torrens. La face du mont Barlot, opposée à celle que nous voyons de Boussac, ferme l’horizon. Nous