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laissent pas de place à la réflexion, et qu’aucune parole ne saurait exprimer.

Jules Favre, assistant à l’enterrement de pauvres enfans tués dans Paris par les obus, a dit : « Nous touchons à la fin de nos épreuves. » Cette parole n’a pas été dite à la légère par un homme dont la profonde sensibilité nous a frappés depuis le commencement de nos malheurs. Croit-il que Paris peut être délivré ? Qui donc le tromperait avec cette illusion féroce ? ignore-t-il que Chanzy a honorablement perdu la partie, et que Bourbaki, plus près de l’Allemagne que de Paris, se heurte bravement contre l’ennemi et ne l’entame pas ? Je crois plutôt que Jules Favre voit la prochaine nécessité de capituler, et qu’il espère encore une paix honorable.

Ce mot honorable, qui est dans toutes les bouches, est, comme dans toutes les circonstances où un mot prend le dessus sur les idées, celui qui a le moins de sens. Nous ne pouvons pas faire une paix qui nous déshonore après une guerre d’extermination acceptée et subie si courageusement depuis cinq mois. Paris bombardé depuis tant de jours et ne voulant pas encore se rendre ne peut pas être déshonoré. Quand même le Prussien cynique y entrerait, la honte serait pour lui seul. La paix, quelle qu’elle soit, sera toujours un hommage rendu à la France, et plus elle sera dure, plus elle marquera la crainte que la France vaincue inspire encore à l’ennemi.

C’est ruineuse qu’il faut dire. Ils nous demanderont surtout de l’argent, ils l’aiment avec passion. On parle de trois, de cinq, de sept milliards. Nous aimerions mieux en donner dix que de céder des provinces qui sont devenues notre chair et notre sang. C’est là où l’on sent qu’une immense douleur peut nous atteindre. C’est pour cela que nous n’avons pas reculé devant une lutte que nous savions impossible, avec un gouvernement captif et une délégation débordée ; mais, fallût-il nous voir arracher ces provinces à la dernière extrémité, nous ne serions pas plus déshonorés que ne l’est le blessé à qui un boulet a emporté un membre.

Non, à l’heure qu’il est, notre honneur national est sauvé. Que l’on essaie encore pour l’honneur de perdre de nouvelles provinces, que les généraux continuent le duel pour l’honneur, c’est une obstination héroïque peut-être, mais que nous ne pouvons plus approuver, nous qui savons que tout est perdu. La partie ardente et généreuse de la France consent encore à souffrir, mais ceux qui répondent de ses destinées ne peuvent plus ignorer que la désorganisation est complète, qu’ils ne peuvent plus compter sur rien. Ils le reconnaissent entre eux, à ce qu’on assure.

Les optimistes sont irritans. Ils disent que la guerre commence,