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parce qu’il ne se rattache à aucun corps de doctrines, ensuite parce qu’il s’est recruté indifféremment parmi ce qu’il y a de plus pur et ce qu’il y a de plus taré, et que dès lors les honnêtes gens auront hâte de se séparer des bandits et des escrocs. Ceux-ci disparaîtront quand l’ordre se fera, mais pour reparaître dans les jours d’agitation et se retrouver coude à coude avec les hommes d’honneur, qu’ils traiteront de frères et d’amis, au grand déplaisir de ces derniers. Ces élémens antipathiques que réunissent les situations violentes sont une prompte cause de dégoût et de lassitude pour les hommes qui se respectent. M. Gambetta, honnête homme lui-même, éclairé plus tard par l’expérience de la vie, sera tellement mortifié du noyau qui lui restera, qu’il aura peut-être autant de soif de l’obscurité qu’il en a maintenant de la lumière. En attendant, nous qui subissons le poids de ses fautes et qui le voyons aussi mal renseigné sur les chances d’une guerre à outrance que l’était Napoléon III en déclarant cette guerre insensée, nous ne sourions pas à sa fortune présente, et, n’était la politesse, nous ririons au nez de ceux qui s’en font les adorateurs intéressés ou aveugles. C’est un grand malheur que ce Gambetta ne soit pas un homme pratique, il eût pu acquérir une immense popularité et réunir dans un même sentiment toutes les nuances si tranchées, si hostiles les unes aux autres, des partisans de la république. Au début, nous l’avons tous accueilli avec cette ingénuité qui caractérise le tempérament national. C’était un homme nouveau, personne ne lui en voulait. On avait besoin de croire, on s’est mis à croire en lui. Il est descendu d’un ballon frisant les balles ennemies, incident très dramatique, propre à frapper l’imagination des paysans. Dans nos contrées, ils voulaient à peine y croire, tant ce voyage leur paraissait fantastique ; à présent, le prestige est évanoui. Ils ont ouï dire qu’une quantité de ballons tombaient de tous côtés, ils ont reçu par cette voie des nouvelles de leurs absens, ils ont vu passer dans les airs ces étranges messagers. Ils se sont dit que beaucoup de Parisiens étaient aussi hardis et aussi savans que M. Gambetta. Ils ont demandé avec une malignité ingénue s’ils venaient pour le remplacer. Au début, ils n’ont fait aucune objection contre lui. Tout le monde croyait à une éclatante revanche ; tout le monde a tout donné. De son côté, le dictateur semblait donner des preuves de savoir-faire en étouffant avec une prudence apparente les insurrections du midi ; les modérés se réjouissaient, car les modérés ont la haine et la peur des rouges dans des proportions maladives et tant soit peu furieuses. C’est à eux que le vieux Lafayette disait autrefois : « Messieurs, je vous trouve enragés de modération. » Les modérés gambettistes sont un peu embarrassés aujourd’hui que la