Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dait bien de détruire aucune des lettres qu’on lui avait écrites, et, après sa mort, l’académie de Nîmes, sa légataire, les trouva toutes en bon ordre parmi les papiers qu’il lui laissait ; elles ont passé en 1793 de la bibliothèque de l’académie dans celle de la ville, et y forment seize gros volumes dont la lecture est pleine de profit. Ce qu’il convient d’y chercher, c’est moins Séguier lui-même, dont après tout la figure est assez terne, que ses amis et ses contemporains. Plusieurs ont aujourd’hui moins de réputation qu’ils ne méritent ; le temps a effacé des personnalités curieuses auxquelles cette correspondance rend le relief et la vie. Elle peut servir aussi à nous faire mieux connaître le mouvement scientifique du xviiie siècle ; elle nous permet d’apprécier ce qui fut alors défavorable à la science française et hâta sa décadence. Comme les conditions dans lesquelles elle se développa de nos jours sont à peu près les mêmes qu’autrefois, les leçons qu’elle nous donne sur le passé s’appliquent en partie au présent, et la vie d’un savant obscur se trouve ainsi prendre un intérêt général. Ce sont ces souvenirs et ces enseignemens que je vais essayer de réunir en parcourant les papiers inédits de Séguier.


I.

Séguier naquit à Nîmes en 1703 d’une famille de robe qui occupait une situation honorable et se prétendait alliée à celle du chancelier. Son père était conseiller au présidial. Tout ce qu’on sait de sa jeunesse, c’est que les études archéologiques l’attirèrent de fort bonne heure. Ce goût se comprend dans un pays qui conserve de si beaux restes d’antiquité ; comme on y a sans cesse le passé sous les yeux, il est naturel qu’on songe à le connaître, et l’on y devient antiquaire rien qu’en regardant. Cette vieille cité industrielle et commerçante ressemble par plus d’un côté aux républiques italiennes du moyen âge. Quoique portée plutôt vers les affaires, elle n’a jamais dédaigné les travaux de l’esprit ; même dans ces temps qu’on nous dépeint comme barbares, elle en comprenait l’importance et savait les honorer. Dès le milieu du xive siècle, ces bourgeois enrichis avaient voulu fonder chez eux une école de droit. Ils s’étaient adressés aux villes voisines pour avoir des professeurs, et, à leur arrivée, les consuls étaient allés en grande pompe les attendre au-delà des portes, comme ils faisaient pour les rois et les princes à leur passage. La renaissance et la réforme, qui fuirent accueillies favorablement à Nîmes, augmentèrent l’élan général vers les études scientifiques. Il s’y établit une faculté de théologie qui, grâce au talent des maîtres et aux succès des élèves, attira bientôt les yeux