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philologique de l’Allemagne moderne appelle son père ; il avait alors près de quatre-vingts ans. « Je m’attendais, dit Séguier, à trouver un autre homme ; minuit prœsentia famam. Ce docteur ne nous parla que de vin et de la peur qu’il avait de voir les bouteilles vides. Il est vrai que cette peur n’était pas sans motif, car, en quelques minutes, il savait fort bien les vider. Il nous dit qu’il ne s’occupait plus à l’étude, et que, rassasié de travail et de gloire, il se reposait. Il fit ensuite apporter du punch, liqueur forte qui plaît beaucoup aux Anglais, et il pria la compagnie d’en boire, après en avoir bu lui-même très largement, non dans un verre, mais dans une coupe qui contenait plus de sept à huit pots de cette liqueur. C’est là toute la conversation que nous eûmes avec cet illustre biberon. » D’Angleterre, Maffei et Séguier passèrent en Hollande, où ils virent Boerhaave, Dorville et les Burmann ; mais ils n’y firent pas un long séjour, probablement parce qu’ils savaient les érudits de ce pays mal disposés pour eux. Ce qu’avait de large et de libre la critique de Maffei choquait ces esprits timides. « Ce sont des gens, disait La Bastie, qui ne savent que martyriser un auteur classique en cent éditions. » Les deux savans s’arrêtèrent plus longtemps à Vienne, où ils furent accueillis avec plus de bienveillance. Séguier y découvrit une comète, et observa le soleil en présence du prince Eugène, qui lui fit cadeau d’un beau télescope. Ils arrivèrent enfin à Vérone, que le marquis avait quittée depuis près de cinq ans.

Vérone, où Séguier résida pendant dix-huit ans, était devenue, grâce à Maffei, à la fois un musée et une académie. Il y avait rassemblé, sous les portiques du théâtre philharmonique, les plus beaux marbres et les inscriptions les plus curieuses. Il y attirait par sa généreuse hospitalité les hommes les plus distingués de l’Italie, et retenait au passage les savans du monde entier qui, en voyageant de ce côté, ne manquaient pas de le venir voir. Séguier aidait le marquis à faire à ses hôtes les honneurs de son palais et de ses richesses. Il collaborait avec lui, et en même temps il travaillait pour son compte. Les sciences les plus diverses l’occupaient à la fois. Il réunissait des inscriptions, il classait des médailles, il décrivait des monumens, il observait les astres du haut d’un observatoire que le marquis avait fait construire, il faisait des études sur la foudre, sur les étoiles, sur les éclipses ; il dirigeait des fouilles sur le Mont-Bolca, où l’on trouvait d’admirables pétrifications. L’été appartenait surtout à la botanique ; Séguier partait pour les montagnes du Véronais et du Vicentin, et y allait chercher les plantes alpestres, Ce n’étaient pas des voyages sans péril ; dans sa vieillesse, il aimait à raconter les dangers qu’il avait courus dans ces excursions savantes. Les paysans des environs de Vicence, sachant qu’il