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dans le silence de la solitude ; la science demande quelques conditions particulières pour se développer. Il lui faut des livres, des musées ; elle a besoin que la discussion l’excite, la dirige ou la redresse. Il importe qu’elle se tienne au courant de tous les travaux au moment même où ils s’accomplissent ; elle doit savoir ce qui s’est déjà fait sur les questions qu’elle étudie pour ne pas être exposée à recommencer sans cesse le chemin parcouru. Ces échanges d’idées, ces relations journalières, cette facilité d’informations, qui peuvent être un grand agrément pour les lettrés, sont une nécessité absolue pour le savant. Aussi la science a-t-elle surtout fleuri dans certains centres favorisés où les jeunes gens trouvent des méthodes pour se former, et les esprits déjà mûrs ces communications et ces rapports qui aident à faire des découvertes nouvelles. Ces centres existent en Allemagne ; ce sont les universités, auxquelles la nation rapporte avec raison le progrès qu’elle a fait depuis trois siècles dans les études savantes, et avec ce progrès l’avancement général de l’esprit public. En France, après le grand effort du xvie siècle, nos universités n’ont plus jeté d’éclat. Toute l’attention, toute l’estime du public s’est concentrée sur les collèges. L’enseignement secondaire, surtout depuis qu’il a été aux mains des jésuites, a complètement effacé l’enseignement supérieur. On n’a eu souci que de rendre l’étude facile, de la vulgariser autant qu’on le pouvait, de faire des gens du monde agréables et lettrés, ne sachant que ce qui est de mise dans le commerce journalier de la vie. Il est arrivé que l’instruction s’est affaiblie en s’étendant, parce qu’en faisant tout pour la répandre on ne faisait rien pour la relever. C’est ainsi que l’équilibre s’est rompu ; la nation, prise dans sa masse, est aujourd’hui plus instruite, plus éclairée, plus civilisée, mais cette civilisation est devenue tous les jours plus superficielle et plus légère. Les esprits d’élite qui sentaient en eux l’attrait du savoir, livrés à eux-mêmes, sans méthode et sans tradition, contraints de se faire tout seuls, ont eu besoin de beaucoup plus de travail pour se former. Il en résulte que ceux-là seuls ont percé la foule et se sont fait connaître qui possédaient un génie éminent, les autres ont perdu leur temps à atteindre aux préliminaires de la science, où ils seraient arrivés du premier coup, si on les leur avait enseignés. Nous avons eu dans toutes les branches des connaissances des savans illustres qui nous font grand honneur ; mais ce sont comme des apparitions isolées. Nés d’eux-mêmes, par un effort personnel qui les épuise, ils se sont usés vite au travail et ont disparu sans laisser d’école.

Certes le goût de l’étude et des travaux sérieux ne manquait pas au commencement du xviiie siècle. Les esprits curieux que l’érudition sous toutes ses formes attirait étaient même alors bien plus