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VERSAILLES


PENDANT LE SIÈGE DE PARIS




Chacun se souvient encore de cette semaine d’angoisses qui précéda l’investissement de Paris. Tous les liens qui rattachent la capitale à la France se brisaient un à un. Les lignes de chemins de fer s’arrêtaient, et le télégraphe se repliait en signalant l’approche de l’ennemi : le vide et le silence se faisaient autour de nous. À Paris, la fièvre de la défense trompait du moins la fièvre de l’attente : on roulait des canons, on remuait de la terre, on s’armait, on travaillait, on vivait ; mais dans les villages qui font à la grande ville une si riante et si riche ceinture, et qui les premiers allaient devenir la proie de l’envahisseur, l’anxiété était devenue de la terreur. Ces populations affolées ne songeaient qu’à fuir, abandonnant leur mobilier, leurs récoltes, laissant souvent derrière elles les infirmes et les malades ; des files de charrettes et de bestiaux, des troupes de femmes et d’enfans encombraient les routes. La plupart se précipitaient vers Paris ; quelques-uns, égarés par une sorte de vertige, marchaient devant eux au hasard, et allaient se jeter au milieu des éclaireurs ennemis. Dans les villes telles que Versailles et Saint-Germain, où le nombre même des habitans était une garantie contre le pillage et l’incendie, l’inquiétude moins désordonnée n’était pas moins cruelle. Les simulacres de travaux défensifs, coupures sur les routes, abatis d’arbres, chaussées dépavées, ne faisaient illusion à personne sur la possibilité d’une résistance sérieuse : on savait qu’on n’improvise pas des Saragosses avec des barricades sans défenseurs et des épaulemens sans canons. Les heures marchaient avec une lenteur désespérante : on désirait presque comme une délivrance le moment de la catastrophe que rien ne pouvait plus empêcher.