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ris resta immobile ; l’armée de la Loire se fortifiait devant Orléans. Les têtes de colonne de Frédéric-Charles commencèrent à paraître, l’état-major respira : l’occasion était manquée et ne devait plus renaître. Certes nous comprenons toutes les tortures morales qu’ont fait subir à Paris l’isolement, l’incertitude, l’espoir sans cesse excité et sans cesse trompé ; mais il y a eu des angoisses aussi poignantes, ce sont celles des Français emprisonnés dans les lignes ennemies, partageant, sans avoir les émotions de la lutte armée, toutes les douleurs de leurs concitoyens, consumant leur vie à entrevoir quelque chose de la vérité et impuissans à la faire connaître, ou, ce qui était plus triste, à la faire croire ! Ceux-là n’oublieront pas ces mortelles journées du 12 au 18 novembre, ces nuits passées à épier dans l’ombre une lueur fugitive, un bruit lointain qui pouvait être le signal de la délivrance. Qu’il leur reste du moins la consolation d’apprendre à l’ennemi dont ils subissaient l’odieuse présence que des yeux qui savaient voir, des oreilles qui savaient entendre, ont suivi chacun de ses mouvemens, épié chacune de ses paroles, que la vigilance et la prudence allemande ont été jouées plus d’une fois par la légèreté française, et n’ont jamais su découvrir que les complots imaginaires, saisir que les correspondances insignifiantes, punir que les innocens !

L’état-major avait repris confiance ; mais il redoublait de précautions en vue d’une sortie de Paris, que tous les Allemands croyaient prochaine, et qu’ils considéraient comme le dernier effort de la résistance. On avait remarqué, disaient-ils, de nombreux mouvemens de troupes. Les forts, longtemps muets, avaient rompu le silence ; on voyait des travailleurs réparer les routes qui aboutissaient aux positions occupées par le 6e corps, par les Wurtembergeois et par les Saxons. Dans la nuit du 29 novembre, Versailles se réveilla en sursaut au bruit d’une canonnade qui fit croire un moment que le bombardement commençait ; mais on distingua bientôt, au milieu du roulement continu de la grosse artillerie, la voix plus éclatante du canon de campagne et le pétillement de la fusillade. L’ennemi ne s’était pas trompé, et le calme de son attitude, qui contrastait avec la panique du 21 octobre, prouvait qu’il était sur ses gardes. Cependant l’affaire était sérieuse. Pendant toute la nuit du 30 novembre, on entendit rouler des trains d’artillerie et défiler des troupes ; vers dix heures du matin, la landwehr de la garde traversa la ville, se dirigeant vers les routes de Sceaux et de Bièvre. Ces beaux régimens marchaient avec autant d’ordre qu’à la parade, mais avec cette gravité morne que l’on remarque chez le soldat allemand les jours de bataille. Durant trois jours et trois nuits, le canon gronda presque sans interruption. Quelques engagemens assez vifs eurent lieu sur les