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vingtaine de maisons tout au plus avaient été brûlées et effondrées par nos projectiles. Le pillage, commencé depuis le mois d’octobre, s’acheva méthodiquement sous la direction des officiers. À mesure qu’une maison était déménagée, les soldats arrosaient de pétrole ou frottaient avec de la graisse les portes et les cloisons, semaient de la poudre et du papier sur les planchers, entassaient de la paille dans les caves et dans les rez-de-chaussée, y mettaient le feu, et allaient quelques pas plus loin poursuivre l’exécution de leur consigne. L’œuvre de destruction dura quatre jours ! Quelques habitans déjà revenus dans leurs foyers, et qui s’efforçaient d’éteindre l’incendie, furent repoussés à coups de sabre et contraints de s’enfuir. Le 30 janvier, à deux heures de l’après-midi, quarante-huit heures après la signature de l’armistice, la maison du sculpteur Dantan, la seule qui fût restée à peu près intacte dans le parc de Montretout, était envahie par une bande de soldats du 5e corps. Les œuvres d’art qui avaient été oubliées ou dédaignées par les pillards furent mutilées et jetées par les fenêtres, et la maison incendiée sous les yeux d’un groupe d’officiers, témoins impassibles et sourians. Les murs seuls sont restés debout ; sur l’un d’eux une main inconnue a tracé en grosses lettres ces mots : Wilhelm Ier, Kaiser. Cette inscription est-elle une vengeance ou une ironie du hasard ? L’homme qui a ordonné l’incendie de Saint-Cloud est général au service de sa majesté l’empereur d’Allemagne ; il commande une division du 5e corps : sa famille est, dit-on, d’origine française, et son nom est Sandraz.

À partir du mois de février, les portes de Paris s’entr’ouvrent : la vérité commence à se faire jour. Les Parisiens ont pu aujourd’hui constater par leurs yeux l’exagération des bruits semés sur les travaux et sur les forces des Prussiens. Ils ont pu apprécier, par le parti que l’ennemi en a tiré, l’importance des positions stratégiques qui dominent Paris, et qui, solidement fortifiées, l’auraient rendu inabordable et impossible à bloquer. Ils ont parcouru les villages dévastés ; ils ont visité les ruines de Meudon, de Garches et de Saint-Cloud. C’est ici que nous devons terminer ce récit, ou plutôt cette déposition, qui aura du moins le mérite de la sincérité et de l’exactitude. Puisse-t-elle apporter quelques faits de plus à l’instruction qui se poursuit dans toutes les parties de la France, et qui va permettre à l’Europe de juger les vainqueurs.

H. Pigeonneau.