Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/509

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

légèrement sur beaucoup de choses, lourdement sur aucune. » La simplicité en pareille matière lui paraissait un mauvais moyen pour rendre les contributions moins pesantes. Tous les économistes sont d’accord sur ce point ; il n’en est aucun ayant une valeur sérieuse qui ne reconnaisse que ce qu’on appelle la taxe unique n’est pas possible, c’est la chimère des esprits qui ne sont jamais préoccupés de la pratique. « Il convient, dit J.-B. Say, que les taxes soient assez multipliées pour que les producteurs qui ne seraient pas atteints par un impôt le soient par un autre. » Ainsi diviser et multiplier les taxes, c’est déjà un principe d’égalité, et comme c’est en outre un moyen de leur faire produire beaucoup plus, la nécessité des impôts indirects se trouve par cela même justifiée. Ils ont encore un avantage qui n’est pas à dédaigner : ils se perçoivent très facilement, ils ne se présentent pas sous la forme d’une sommation de percepteur enjoignant d’apporter l’argent à des échéances fixes et pour rémunérer des services dont on n’apprécie pas toujours l’utilité ; on les paie insensiblement, quand on veut. Enfin le droit du fisc se trouvant mêlé à une consommation, à une jouissance, on l’acquitte sans murmure. Si l’année est mauvaise, si la récolte a manqué, si l’on est gêné pour une raison quelconque, on restreint sa consommation et on supporte moins d’impôts, tandis qu’avec la cote directe il faut payer quand même, n’eût-on d’argent que pour acquitter ses contributions. Aussi dans tous les pays, dans tous les temps, la taxe indirecte est-elle la mieux acceptée ; aucune autre ne donne lieu à moins de réclamations. « Les droits sur les marchandises, a dit Montesquieu, sont ceux que les peuples sentent le moins, parce qu’on ne leur fait pas une demande formelle ; ils peuvent être si sagement ménagés que le peuple ignore presque qu’il les paie, » et il ajoute ailleurs : « comme c’est un impôt volontaire, une espèce de self taxation, il est particulièrement inhérent au régime de liberté. » En effet, on n’a qu’à considérer l’Angleterre ; bien que la taxe sur le revenu y existe aussi, les impôts indirects n’en fournissent pas moins les trois quarts du budget.

Maintenant ces impôts sont-ils contraires aux lois de l’économie politique, nuisent-ils au progrès de la richesse nationale ? C’est encore un des griefs qu’on leur oppose ; il n’est pas plus fondé que le précédent. Il est très sûr que, si on pouvait mettre les marchandises à la disposition du public, franches de tout droit, si on pouvait les transporter gratis d’un endroit à un autre, avoir des intermédiaires qui les vendraient au prix de revient, et des capitaux qui n’exigeraient aucune rémunération pour le service qu’ils auraient rendu, ces marchandises seraient à meilleur marché ; on en consommerait da-