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quels se fondait cette confiante sécurité, la marine n’occupait pas le dernier rang ; elle le devait autant à son importance, réelle à toutes les époques de notre histoire, qu’aux progrès qu’elle venait d’accomplir. La marine alors, c’était surtout cette escadre de 21 vaisseaux que l’amiral Lalande venait de nous léguer, et qu’animait encore sa volonté ardente, où revivait sa martiale ardeur : création admirable, dans laquelle la discipline, la confiance réciproque, étaient non-seulement les gages assurés de la victoire, mais encore ceux de tout progrès dans l’avenir. Comme toutes les idées justes et vraies, l’idée qui avait présidé à cette création eut une action irrésistible et pour ainsi dire universelle. En effet, les nations maritimes nous envièrent toutes cette grande école, devenue chez nous une institution permanente ; toutes s’empressèrent de l’imiter. Sous cette vive impulsion, la marine à voile atteignit son apogée de puissance et de force ; mais ce ne fut qu’un moment.

Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié les récits brillans, les pages émues que, dans des souvenirs personnels, un de nos amiraux a consacrés à cette période de notre histoire maritime, j’allais dire nationale. On peut dans ces récits suivre, année par année et comme pas à pas, les transformations successives du vaisseau de guerre, et par suite celles qu’eurent à subir nos escadres d’évolution. En 1870, les 21 vaisseaux de l’amiral Lalande étaient remplacés par cinq navires cuirassés ; c’était l’escadre d’évolution. Comme autrefois, malgré ce nombre réduit, elle comptait un vice-amiral, deux contre-amiraux et l’élite de nos officiers et de nos marins ; mais, au lieu de cette confiance et de ces espérances unanimes dont tous saluaient l’escadre de 1840, déjà le doute s’était glissé dans les meilleurs esprits, auxquels s’imposaient par la force de la réflexion, par l’amour de la vérité, les questions que nous abordons aujourd’hui sous l’empire des préoccupations les plus sombres.

Y aura-t-il dans les batailles navales, avec les navires de guerre d’aujourd’hui, un plan possible de combat préparé d’avance, un ordre de bataille, une tactique en un mot nécessitant des évolutions ? Si oui, les escadres d’évolution ont leur raison d’être, et les études qu’elles seules rendent possibles devant être poursuivies, il faut conserver ces escadres coûte que coûte ; mais, si les batailles navales, avec les navires cuirassés modernes dont la pesante armure et l’éperon gigantesque rappellent ces chevaliers bardés de fer du moyen âge, ne doivent être qu’une mêlée où chaque capitaine n’agira, ne pourra agir que par lui-même, en ne consultant que ses propres décisions, en ne s’inspirant que de son courage, en face des changeantes péripéties d’une action où tout sera forcément imprévu, les escadres d’évolution doivent être condamnées : elles