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saint Paul, on doit dire qu’on ne sait rien de positif, que les argumens donnés des deux côtés ne suffisent pas pour qu’on se prononce, et que, quoiqu’il soit plus probable qu’ils sont demeurés étrangers l’un à l’autre, on ne peut jusqu’à présent rien affirmer avec une entière certitude.


II.

Cette question est après tout secondaire ; ce qu’il importe vraiment de savoir, ce n’est pas si Sénèque et saint Paul se sont rencontrés, mais si le philosophe a profité des doctrines de l’apôtre. Ici nous ne marchons plus dans les ténèbres, et nous pouvons sortir des conjectures. La vie des deux illustres contemporains nous échappe souvent ; mais leurs opinions nous sont bien connues. Nous avons les épîtres de Paul ; nous pouvons les comparer aux écrits de Sénèque, voir ce qui chez eux ressemble ou diffère. La vérité va sortir de cette comparaison avec une telle netteté qu’il faut, pour la méconnaître, le triple bandeau que l’esprit de parti met ordinairement sur les yeux.

Commençons par indiquer les ressemblances qu’on remarque entre les écrits de Sénèque et la doctrine de l’église. Il y a longtemps qu’on les a signalées : elles frappaient déjà Tertullien ; elles sont encore aujourd’hui la raison la plus spécieuse qu’on puisse alléguer pour nous faire croire que Sénèque et saint Paul se sont connus, et qu’ils se sont communiqué leurs opinions. Elles étonnent surtout l’esprit quand on compare entre eux les divers passages qu’on veut rapprocher en les isolant de ce qui les précède et de ce qui les suit. C’est ainsi que je vais les présenter pour laisser à l’argument toute sa force. Les idées du philosophe romain sur Dieu et sa nature ne sont peut-être pas celles qui se prêtent le plus à être rapprochées de la théodicée chrétienne ; sur ce point, les diversités l’emportent sur les ressemblances. Cependant Sénèque a souvent le goût et le sens du divin, et il donne quelque part à sa philosophie la mission « d’arracher l’homme à la terre pour le diriger vers le ciel. » La première de toutes les vertus est, selon lui, de se livrer à Dieu : hic est magnus animus qui se Deo tradidit. Il veut qu’on reconnaisse sa présence partout : a que sert de dérober quelque chose aux hommes ? rien n’est caché pour Dieu. » Il recommande d’accepter sa volonté sans murmurer ; « tout ce qui plaît à Dieu doit plaire aux hommes. » Quand quelque malheur imprévu nous frappe, il ne faut pas se contenter de dire avec Virgile : « Les dieux ont décidé autrement, dis aliter visum ! » Il faut dire : « Ce que les dieux nous envoient est meilleur, di melius ! » Une de ses