Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/615

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA RUSSIE


DEPUIS L’ÉMANCIPATION DES SERFS[1]




Free Russia, by William Hepworth Dixon, 2 vol., London.




Quand on a devant soi une carte de l’ancien continent, on se demande quel est ce pays qui en occupe une si grande part, et qui semble posséder une faculté d’expansion si extraordinaire. Il paraît menacer toutes les contrées qui l’entourent, car il ne respecte aucune des barrières à l’aide desquelles la nature délimite les frontières des peuples. Au nord, l’impossible seul l’arrête : on dirait qu’il veut étreindre le pôle dans ses gigantesques bras. À l’est, une immense chaîne de montagnes et un grand fleuve le séparent de l’Asie, lui laissant un pays vingt fois plus grand que la France. Il franchit cette limite pour s’adjoindre au-delà une étendue deux fois plus considérable, et dont il n’avait que faire. Au midi, les barrières étaient plus positives encore ; mais il n’en tient compte : il enjambe le Caucase, et eût converti la Mer-Noire en un lac russe sans la guerre de Crimée. À l’ouest, il est une menace permanente : la Finlande, les provinces allemandes de la Baltique, la Lithuanie,

  1. Le travail qu'on va lire est une œuvre posthume. Notre regretté collaborateur est mort en province pendant le siége de Paris, le jour même où se livrait presque à sa porte la malheureuse bataille de Dreux, le 17 novembre 170. Nos désastres l'avaient rempli d'une douleur profonde ; ils ont certainement hâté sa fin. Genevois de naissance, le pasteur Cailliatte, sur qui nous reviendrons plus longuement, était tout français de cœur. « Les malheurs de la France, disait-il, sont ma lettre de naturalisation, » et il protestait contre les cruautés prussiennes, qu'il eut, quoique vivant sous la loi du vainqueur, le courage de flétrir hautement dans le Times. Il ne pouvait mieux terminer que par un tel acte une vie consacrée toute entière aux devoirs du pasteur et aux travaux du publiciste, dont nos lecteurs ont pu apprécier le mérite.