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Elle consentit, et se laissa conduire dans un couvent de Moscou. Redevenu libre, Nikou partit pour le nord ; il marcha résolument jusqu’à la Mer-Blanche, et se joignit à un groupe d’anachorètes qui vivaient alors dans l’île d’Anzersk. Pour s’associer plus complètement à eux, il fit les vœux exigés. La bonne harmonie ne fut pas de longue durée. Sa nature rude, son caractère impérieux et acariâtre, ne tardèrent pas à se manifester au grand détriment de la paix, et la société de Nikou devint si pénible, qu’un jour les frères le mirent sur un bateau avec du pain et de l’eau, lui disant d’aller partout où il voudrait, pourvu qu’il ne revînt jamais. Le vent le poussa dans la baie d’Onega, et le fit aborder au pied du rocher de Ki. De là, il se rendit dans la province d’Olonetz, et y organisa une troupe de pèlerins. Le hasard fit sa fortune. Ayant eu l’occasion de voir le tsar Alexis, il frappa tellement ce prince, fort pauvre juge en fait d’hommes, qu’en peu d’années il fut élevé au rang d’archimandrite, d’évêque, de métropolitain, et enfin de patriarche. Il put alors donner un plein essor à sa passion de dominer. Il gouverna l’église russe en véritable autocrate. Il enleva au culte son antique simplicité et le chargea de cérémonies ; il changea la liturgie, et fit faire en langue slavonne une nouvelle version des Écritures, version qu’il fit approuver par un concile. Les fidèles, opposant une vive résistance, Nikou appela le bras séculier à son aide, et, par un ordre de l’empereur, la nouvelle liturgie et la nouvelle version des livres saints furent introduites dans l’église, dès ce moment déclarée « officielle, orthodoxe et sainte. » Les princes, les généraux, tous les fonctionnaires de l’empire acceptèrent docilement ces réformes, les prêtres et les moines, moitié par soumission, moitié par contrainte, se rangèrent pour la plupart ; mais le peuple résista, et l’église depuis lors a été divisée en deux fractions, celle des vieux croyans et celle des orthodoxes, l’église populaire nationale et l’église officielle. Les vieux croyans rejettent toutes les innovations de Nikou, qu’ils regardent comme un hérétique. Ils se rattachent à l’ancienne église jusque dans les plus petits détails. Si cette tendance ne sortait pas du domaine religieux, elle serait parfaitement légitime ; mais la raison fait souvent défaut aux vieux croyans, et le fanatisme les aveugle : ils repoussent la plupart des améliorations dont les sciences ont doté la société, et les meilleures conquêtes de la civilisation moderne leur sont suspectés. Ils s’isolent dans les siècles passés, et attachent de l’importance à de petites actions, par exemple à celle de ne point mettre de sucre dans leur thé, le sucre ayant été importé en Russie depuis Nikou ! Comme les réformes ont été imposées à l’église par la couronne, les vieux croyans enveloppent le pouvoir impérial dans leur réprobation. Les uns se refusent à prier pour le prince régnant sous la rubrique de