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Les serfs formaient en grande partie la classe des paysans. Le servage russe, qui présentait mille nuances, différait essentiellement dans son principe du servage d’Occident et fort peu dans son caractère et dans ses effets. Lorsqu’on a voulu abolir le servage en Occident, il a suffi de proclamer l’égalité des hommes devant la loi, pour soustraire les vilains à une infinité de servitudes écrasantes ; leur émancipation n’a été accompagnée d’aucune concession de terres. En Orient, il n’en a pas été de même. On ne pouvait briser les chaînes du serf russe qu’à la condition de le rendre propriétaire. Les deux servages sont d’origine parfaitement distincte ; des princes étrangers ont introduit l’un dans les pays occidentaux, des princes nationaux ont établi l’autre en Russie, après avoir expulsé l’étranger et reconquis leur indépendance. D’un côté, il a été le fruit de guerres désastreuses, de déplorables défaites, il s’est développé à l’ombre des ténèbres les plus épaisses, à une époque de barbarie que l’on a stigmatisée du nom de « siècle de plomb ; » de l’autre, il est né à l’heure des premières conquêtes de l’âge moderne, il a surgi avec les premières lueurs de la civilisation : il avait pris fin en Occident qu’il était encore ignoré en Russie. Lorsqu’en 1311 Philippe le Bel confirmait l’affranchissement des serfs du Valois, lorsque son fils, Louis le Hutin, publiait les fameuses ordonnances qui libéraient les paysans de tous ses domaines, la Russie était libre, le servage y était inconnu. Nous en avons une preuve dans les miniatures du codex de Radzivil, qui nous représente le Russe jouissant de tous les bienfaits de la liberté. Les grandes villes de Novgorod, Pokof, Illynof, étaient, au xiie siècle, aussi riches et aussi commerçantes que le furent plus tard Hambourg, Lubeck, Francfort. La sombre époque, celle qui amena l’asservissement du Russe, commence avec le xiiie siècle. Écrasée par les Tartares à la célèbre bataille de la Kalba, la Russie demeure trois siècles sous le joug de fer des Mongols. La désolation, la terreur et la mort étaient partout ; les villes étaient détruites, les champs abandonnés, et les laboureurs, réfugiés dans les bois, ne cultivaient que juste ce qu’il leur fallait pour ne pas mourir de faim. Dans l’espoir d’adoucir leurs féroces vainqueurs, souvent pour leur échapper, les habitans de la Russie adoptaient le costume et les coutumes des Tartares ; ils leur empruntèrent même quelques-unes de leurs phrases les plus usuelles. Cependant il y eut durant cette longue période de ravages des années de tranquillité relative. Les Mongols, satisfaits d’avoir réduit à l’obéissance ce vaste empire, et de s’être fait rendre hommage par ses souverains, se contentaient du tribut que leur payait la Russie, et portaient ailleurs le fer et le feu. Les princes en profitent pour relever le courage de leurs sujets, pour se fortifier et travailler à reconquérir leur indépendance. Peu à peu, ils