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accuse la totalité de son bénéfice se met dans une position moins favorable que celui qui en dissimule une partie ; il est victime de sa loyauté et fournit des armes à la concurrence, il augmente ses frais généraux que l’autre diminue.

Toutes les difficultés ne seraient pas aplanies même avec une déclaration sincère. Les revenus sont de sources diverses ; les uns sont plus assurés que les autres. Les imposera-t-on au même chiffre ? Demandera-t-on au commerçant, dont le profit est incertain, à l’employé, dont le traitement est précaire, autant qu’aux rentiers, dont la fortune est fixe et durable ? Ne tiendra-t-on aucun compte de la différence des situations ? Le père de famille qui a trois ou quatre enfans doit-il payer comme le célibataire qui n’a aucune charge ? Enfin la localité que l’on habite devrait également être prise en considération. Un revenu légèrement au-dessus de 1,200 fr. procurera le luxe dans une petite ville, et il n’assurera pas même le nécessaire dans une grande. Ces difficultés sont sérieuses ; on les a souvent étudiées, et on a presque toujours reconnu, en Angleterre au moins, que, si on admettait ces distinctions, qui paraissent pourtant bien légitimes et bien naturelles, on détruirait la base même de l’impôt. Il faudrait en changer les conditions et l’aggraver pour les uns de ce dont on le diminuerait pour les attires, c’est-à-dire arriver à des impossibilités matérielles. On proposait avant la guerre l’impôt du revenu comme moyen de supprimer les taxes de consommation et de réduire certaines taxes directes. On dirait vraiment qu’il y a quelque part, en dehors du revenu brut sur lequel vit la société, un élément de richesse qui n’est pas encore soumis à l’impôt. On s’imagine que, si on affranchit les consommations, ce sera autant de gagné ; mais si, pour opérer cet affranchissement, on prend 200 millions au revenu disponible, on les enlève au commerce et à l’industrie ; les salaires et les profits en souffrent, et en supposant, ce qui est plus que douteux, qu’on paie certaines choses moins cher, on a moins de ressources pour se les procurer. Toute la question est donc de savoir s’il vaut mieux prendre l’impôt sur la production au moment où elle a toute sa valeur et, va être livrée à la consommation que sur le capital qui sert à la créer, en un mot s’il vaut mieux imposer la moisson que la semence. La réponse n’est pas douteuse pour quiconque a réfléchi sur la matière.

On a dit quelquefois que la création des rentes sur l’état était utile en ce sens que, procurant une excellente occasion de placement, elle sollicitait à l’épargne. Cette idée est assurément exagérée ; mais on peut prétendre avec plus de vérité que l’impôt, lorsqu’il est bien établi et modéré, excite plutôt la production qu’il ne la décourage : il s’agit tout simplement pour le payer d’un effort