Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/666

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était Austrasien, et déjà de son temps l’Austrasie affectait de n’être point germaine. Ses préférences, ses mœurs et jusqu’au fonds principal de sa langue, aussi bien que la loi géographique et son histoire primitive, la portaient à se fondre dans l’agglomération des peuples gallo-francs. S’il y eut jamais « rétrocession légitime, » on peut dire que ce fut chaque fois qu’une partie du royaume lotharingien, aux xvie, xviie et xviiie siècles, fut réunie politiquement à la France. On verra même qu’une des causes qui ont amené chez nous, au profit d’une grande famille féodale, la déchéance définitive de cette dynastie que les Pépin et les Charles avaient illustrée, fut précisément son impuissance notoire à ressaisir ce qu’on appelait déjà au xe siècle les « frontières naturelles, » c’est-à-dire ce magnifique pays rhénan, noyau de l’ancienne Austrasie.


I.

Il est impossible de trouver dans les divers massifs des continens, si l’on excepte des péninsules telles que l’Italie et l’Espagne, un pays mieux délimité que la région gauloise. L’arête orientale de séparation, la seule qui nous intéresse ici, est formée au-dessus des Alpes par un cours d’eau de 1,300 kilomètres, de Bâle à la Mer du Nord. Au point de vue géologique, le Rhin, on le sait, n’est pas une frontière ; sous ce rapport, il unit plutôt qu’il ne divise. Au point de vue militaire, il n’a jamais présenté, même à l’époque reculée où ses bords étaient défendus par d’immenses forêts et des marécages profonds, qu’un obstacle assez aisément franchissable. Aussi les Romains, qui songeaient à tout, avaient-ils établi le long de la bande de terre comprise entre l’Helvétie et l’océan germanique une série de postes et de quartiers permanens (castra staliva), dont la garde était confiée à huit légions ; telle est l’origine de la plupart des grandes villes rhénanes, comme Strasbourg (Argentoratum), Mayence (Maguntiacum), etc. Ces cantonnemens formidables n’empêchèrent point les Francs de passer définitivement le Rhin en 406. Une fois maîtres de la rive gauche, ces barbares se préoccupèrent aussitôt, comme l’avaient fait les Romains, d’interdire l’accès du fleuve aux autres hordes germaines qui se pressaient sur la rive droite, impatientes de prendre leur part des riches contrées occidentales. Ils y réussirent, et la Gaule y gagna du moins de voir enfin sa frontière politique de l’est efficacement défendue. Bien plus, à partir de la victoire de Clovis à Tolbiac, c’est elle qui à son tour prend l’offensive contre les barbares. Dès lors, les rôles sont intervertis : la Germanie vaincue, soumise jusqu’à l’Elbe et au Danube,