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de Lorraine ; mais, si l’on pose ainsi la question, nous dirons que la royauté ne s’acquiert point par droit héréditaire, et qu’on ne doit y élever que celui qui se distingue non-seulement par la noblesse de sa naissance, mais par la sagesse de son esprit, et qui trouve son appui naturel dans sa loyauté, sa force dans sa grandeur d’âme… Le duc Charles n’est pas digne du trône, car l’honneur ne le guide pas, la mollesse l’énervé, et d’ailleurs sa tête s’est affaiblie au point qu’il n’a pas eu honte de servir un roi étranger et de prendre sa femme dans l’ordre inférieur des vassaux… Voulez-vous que le pays soit malheureux, choisissez Charles ; le voulez-vous prospère, couronnez l’illustre duc de France, qui possède la noblesse, la puissance, en qui vous trouverez un protecteur, non-seulement de la chose publique, mais encore de vos intérêts privés… »

À ce discours de l’archevêque, qui faisait vibrer habilement toutes les grandes fibres féodales, répondit une immense acclamation ; personne n’éleva la voix en faveur du prince légitime, Charles de Lorraine, qui d’ailleurs n’avait pas eu, dans l’intervalle des deux plaids, l’énergie d’affirmer résolument son droit, et s’était ravalé jusqu’à l’humble rôle de solliciteur. Adalbéron avait donc traduit le sentiment de tous ; l’héritage de Louis était d’un commun accord adjugé au prince Hugues. Chaque membre de l’assemblée dut évoquer en cette occasion le souvenir des glorieux ancêtres de Capet ; les ombres de Robert le Fort, d’Eudes, du second Robert, d’Hugues le Grand, ces guerriers nationaux, ces vainqueurs des Normands et des Germains, c’est-à-dire des deux barbaries qui avaient menacé la France naissante, se redressèrent tout à coup, désignant du doigt l’homme qui résumait en lui toutes leurs qualités et tous leurs mérites. Celui-là était bien l’élu sans rival, l’élu du noble comme celui du serf et du clerc, car il appartenait à une race qui était la chair vivante et les entrailles du pays ; il représentait, entées l’une sur l’autre, ces deux familles gauloise et franque dont le mélange était désormais accompli. Qu’était-ce, à côté de ces fiers comtes de Paris, que cette dynastie semi-étiolée, cliente jurée de l’étranger, du Teuton, aux mains duquel elle avait laissé la France de l’est, les limites du Rhin, cette vieille et vaillante Austrasie, où pourtant étaient ses racines ?

De ce qui s’accomplit au plaid de Senlis, on peut, avec l’auteur de l’Essai sur la séparation de la France et de l’Allemagne, tirer les trois conclusions suivantes : en premier lieu, la France venait d’acquérir la conscience de sa vie propre, elle se distinguait désormais de l’Allemagne et rompait avec celle-ci toute parenté politique ; en second lieu, la féodalité repoussait également un roi inutile et un roi héréditaire ; enfin le point d’honneur et l’orgueil nobiliaire, qui