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duit à Rome cette manière nouvelle de propager la philosophie ? Est-ce lui qui, au lieu d’enseigner ses doctrines dans des écoles fermées, imagina ces grandes réunions où toute la jeunesse pouvait venir ? Il est naturel de le croire ; ce qui est sûr, c’est qu’il y obtint de très grands succès. Il avait, selon Sénèque, une physionomie douce, une façon de parler simple et sobre. C’était une sorte de Bourdaloue qui cherchait à produire son effet par le développement régulier de la pensée plutôt que par l’éclat de quelques détails heureux, comme c’était alors l’usage. « On l’écoutait avec une attention respectueuse ; mais parfois l’auditoire, séduit par la grandeur des idées, ne pouvait retenir des cris d’admiration. »

La philosophie avait donc alors deux manières de se répandre, la direction et la prédication. On pouvait préférer l’une ou l’autre, s’adresser à la foule ou à quelques élus, frapper de grands coups sur le public ou diriger discrètement quelques consciences choisies ; mais des deux façons il fallait être persuasif, et pour persuader il était bon d’être éloquent. L’éloquence, une fois entrée dans la philosophie, s’imposa bientôt à toutes les sectes. Le stoïcisme, qui longtemps avait fait profession de dédaigner la foule, ne s’était jamais donné la peine de l’attirer, de lui plaire par l’élégance et la clarté des expositions. C’était un système logique et serré, mais qui avait la réputation d’être sec et obscur. On craignait toujours de s’engager dans ce qu’on appelait les broussailles des stoïciens. Avec Sénèque et ses maîtres, le stoïcisme devint éloquent. Il fut bien forcé de se soumettre aux nécessités nouvelles, de se faire persuasif et insinuant, de chercher à entraîner les âmes encore plus qu’à commander aux intelligences. C’est ainsi que Sénèque, contrairement à l’ancien esprit de sa secte, a pu être à la fois le plus grand orateur et le plus illustre philosophe de son temps.

Ce mouvement philosophique ne se ralentit pas sous Tibère malgré la difficulté des temps. On était alors dans un de ces momens de fatigue et de faiblesse qui suivent ordinairement les grands siècles littéraires. Au lieu de Salluste et de Tite-Live, on n’avait plus que Paterculus ou Valère Maxime ; Horace et, Virgile étaient remplacés par de froids versificateurs de l’école d’Ovide qui chantaient les plaisirs de la chasse ou les complications du jeu d’échecs.. La philosophie, se préserva seule de cet affaissement des esprits. Ses écoles étaient pleines ; on y venait écouter des sages de tous les pays qui, en grec et en latin, enseignaient des doctrines diverses. Le pythagoricien Sotion recommandait l’abstinence des viandes, et, comme il le disait dans son langage pathétique, il essayait de faire renoncer les hommes à la nourriture des lions et des vautours. Le stoïcien Attale, qui fut forcé de quitter Rome pour échapper à la colère de Séjan, apprenait à ses élèves à bien supporter la torture